Fontcouverte
 

Quelques époques de migration (relativement) bien connues

Les dénombrements sont des documents très ponctuels dans le temps mais qui donnent des informations assez précises, à un moment donné, sur des absents de la communauté de Fontcouverte et sur des personnes y entrant. Identifier les personnes quittant Fontcouverte parmi celles qui y restent est généralement peu aisé. La plupart des documents que nous avons eu sous les yeux sont cependant analysés en détail pour tenter, en particulier, de distinguer le mieux possible les personnes concernées par les migrations, ce qui conduit à des résultats quantitatifs plus ou moins directs et plus ou moins précis.

Dans l'ordre chronologique, après élimination du recensement de 1561 qui ne nous donne pas d'informations utilisables qui seraient pourtant bien utiles, les recensements à des fins militaires sont les documents les plus anciens à notre disposition. Malheureusement ils ne concernent que la moitié masculine de la population. Le rôle des soldats de 1616, la consigne des mâles de 1626 et le rôle des hommes de 1689 sont pratiquement inutilisable dans la détermination des mouvements des Fontcouvertins. Au contraire, la consigne des mâles de 1713 est riches en informations que nous pouvons utiliser. Puis viennent le recensements savoyards de 1716 et celui de 1718 qui nous renseignent peu. Les consignes du sel de 1726, de 1727, de 1729 et de 1734 ne peuvent être abordées que pour estimer l'effet des migrations provisoires dans les pyramides des âges. Apparaissent, alors, le recensement de 1734 très riche en documentation et les consignes du sel de 1759 et de 1790 pas plus riches que les précédentes. Enfin, parmi les recensements français, ceux de 1876, de 1886 et de 1896 peuvent donner quelques impressions en cette fin du XIXe siècle.

La consigne des mâles de 1726

Bien que ne portant que sur les hommes, nous commençons par cette consigne qui est instructive et la plus ancienne utilisable.

Elle traite en principe tous les hommes de 1 à 80 ans soit 667 personnes. 96 sont notés absents soit 14 % de l'effectif masculin total recensé.

Si l'on considère que les absents morts à Fontcouverte sont des migrants provisoires et ceux non inhumés à Fontcouverte des migrants définitifs, leur répartition est la suivante.

  Définitif Provisoires Indéterminés Total
Prêtres 11 1 0 12
Répartition (%) 92 8 0 100
Soldats 7 2 0 9
Répartition (%) 78 22 0 100
Autres 43 27 5 75
Répartition (%) 57 36 7 100
Total 61 30 5 96
Répartition (%) 64 31 5 100

Les prêtres sont partiquement tous des migrants définitifs par vocation, ce qui est logique puisqu'ils meurent dans leur dernière affectation paroissiale qui n'est jamais Fontcouverte suivant les options de l'évêque à cette époque (un prêtre est aumonier d'un noble dauphinois et revient finalement à Fontcouverte).

Les soldats seraient aux trois quart des migrants définitifs au terme de leur carrière militaire.

Quant aux autres Fontcouvertins, sans raison particulière a priori d'émigrer, 60 % d'entre eux le font définitivement, 40 % revenant après leur absence.

Globalement, ce serait donc, en 1726, les deux tiers des migrants masculins qui ne reviendraient pas.

Une analyse plus détaillée des émigrants provisoires montre, pour les seuls migrants provisoires constatés en 1726, que 55 % des absences seraient de moins d'un an, 15 % se termineraient au cours de la deuxième année. Ces émigrations courtes justifient les retours à Fontcouverte. Mais des départs successifs de courte durée peuvent s'enchaîner sans que nous le sachions.

Quant aux immigrants mentionnés, ils ne sont que 3 (auquels on devrait rajouter le curé qui mourra à Fontcouverte). Ils sont valets ou journaliers originaires de paroisses jouxtant Fontcouverte. Le solde migratoire est particulièrement négatif : 4 immigrants pour 61 émigrants considérés comme définitifs.

La répartition des émigrants de 1726 en fonction de leur âge à cette date (âge non précisé dans la consigne mais calculable par la structuration de la population) est donnée par la pyramides des âges des seuls hommes (graphique ci-dessous de gauche). Les enfants de moins de 1 an sont dénombrables et supposés ne pas avoir migré. Les présents montrent une répartition pyramidale classique des populations anciennes mais avec une anomalie importante : un déficit net des tranches d'âge principalement marqué entre 15 et 35 ans. Le graphique ci-dessous de droite, portant les absents recensés, montre manifestement qu'il s'agit de l'effet des émigrations.

Le recensement de 1734

On y trouve 1 307 personnes recensées, 669 hommes et 638 femmes dont 65 hommes et 23 femmes sont déclarés absents. On peut avoir un doute sur le nombre des absents dans la mesure où, théoriquement, les absents devraient être recensés dans la paroisse où ils ont migré. Peut être le recenseur a-t-il seulement fait preuve d'un zêle appréciable. En tout cas, le rapport du nombre des absents à celui des absentes voisin de 3 se retrouve dans d'autres démembrements et traduirait une émigration masculine nettement plus forte que la féminine.

Le tableau suivant donne cette répartition plus en détails.

Recensés Présents Absents
Nombre d'hommes 669 604 65
Répartition (%) 100 90 10
Nombre de femmes 638 615 23
Répartition (%) 100 96 4
Total 1307 1219 88
Répartition (%) 100 93 7

Ce sont donc 10 % des hommes, 4 % des femmes et 7 % de l'ensemble qui seraient absents. Le taux d'émigration, tel qu'enregistré, des hommes serait ainsi plus faible qu'en 1724 (14 %).

La répartition par tranches d'âge de l'ensemble de la population est représentée par la pyramide des âges qui, cette fois, réunit les deux sexes. On retrouve la répartition pyramidale classique des présents, tant pour les femmes que pour les hommes, avec les déficits connus des tranches 10 - 15 ans à 40 - 45 ans pour les hommes et 15 - 20 ans à 30 - 35 ans pour les femmes. Les absents enregistrés comblent le déficit d'effectif mais seulement de façon partielle. Y auraient-ils des absents (définitifs) qui ne seraient pas recensés ? Par ailleurs, la surabondance des émigrants masculins par rapport aux féminins est particulièrement nette. Simultanément, les départs féminins semblent apparaître 5 ans plus trad que chez les hommes et disparaître 10 ans plus tôt. Les femmes migreraient plus tard et moins longtemps.

La liaison entre l'émigration et les creux observés dans la pyramide des âges est-elle plausible ? Nous aurons d'autres arguments positifs par la suite mais nous tentons ici quelques calculs très approximatifs en supposant que notre hypothèse est vraie. Ainsi, nous supposons que la décroissance des effectifs de la population de Fontcouverte est linéaire avec l'âge dans les traches d'âge où les migrations peuvent se produire. Il est alors possible d'estimer le volume approximatif des émigrants qui manquent dans la pyramide. Ces calculs simplistes conduiraient aux résultats suivants.

  Hommes Femmes
Nombre total d'émigrés estimé 103 40
Proportion des émigrés dans la population totale (%) 15 6
Proportion des absents recensés dans le total estimé des émigrés (%) 62 48

Ainsi, le rédacteur du recensement aurait-il pu inventorier dans les absents 100 hommes âgés de 10 à 50 ans et 40 femmes de 15 à 40 ans. Le rapport du nombre d'hommes à celui des femmes serait alors de 2,6 (à comparer à la valeur de 3 issue du recensement). La proportion des hommes émigrés dans la population totale (résidents et migrants estimés) serait plus du double de celle des femmes. Quant à la proportion des personnes recensées comme absentes dans le nombre estimé des migrations correspondantes, elle pourrait être la trace des mariages où l'épouse de Fontcouverte part avec son mari ; les migrations par mariage ne seraient alors pas considérées comme des émigrations (l'épouse - ou plus rarement l'époux s'il est d'origine fontcouvertine - étant recensé(e) dans son nouveau lieu de résidence).

Malgré la prudence de rigueur à conserver dans le jugement des résultats des calculs, ces derniers ne contredisent pas l'hypothèse que les déficits notés dans les pyramides des âges seraient la manifestation d'émigrations.

Dans un tout autre domaine, un apport original et intéressant du recensement de 1734 consiste en la précision qui est faite de la plupart des lieux de migration des absents et des nouveaux arrivants.

Concernant les émigrants

Sur 86 absents traités, 27 se retrouvent au cimétière de Fontcouverte ; ce sont donc des émigrants provisoires. 27 autres, soit le tiers des émigrants, sont à Saint-Jean-de-Maurienne dont 21 « en service » mais on trouve aussi quelques professions particulières telles que tisserand ou cabaretier définitivement installées à Saint-Jean. Enfin, 4 y sont étudiants. Les autres destinations numériquement significatives, sont dans l'ordre décroissant, Villarembert, Chambery et Modane, chacun pour 5 %, puis Albiez-le-Vieux et Grenoble pour 2 % chacun. Enfin, 10 paroisses mauriennaises ou plus généralement alpines se répartissent chacunes 1 % des émigrants avec seulement une ou deux personnes par localité. Pour les destinations plus lointaines on note un émigrant en France, trois en Piémont, un mendiant provisoirement au Monestier-de-Briançon, un mercier à Grenoble et un marchand en Auvergne.

12 sont des soldats dans les Régiments de Tarentaise et de Savoie dont la famille, quand ils sont mariés, reste à Fontcouverte.

Globalement :

En ce qui concerne les âges on peut noter les informations suivantes :

Concernant les immigrants

39 personnes ont une origine extra-foncouvertine d'après le recensement. 20 % sont de Villarembert, 15 % de Saint-Pancrace, 5 % d'Albiez-le-Vieux, autant de Saint-Jean-d'Arves, 4 % seulement de Saint-Jean-de-Maurienne et autant de Valloire. Les autres origines ne concernent chaque fois qu'une personne venant soit des paroisses proches de Fontcouverte, soit, exceptionnellement, de la Loire moyenne ou encore de Paris.

Le statut matrimonial de ces personnes est caractéristique :

Manifestement, la raison principale des immigration est le mariage. Aussi peut-on imaginer qu'il existe des compensations réciproques inconnues. Saint-Jean-de-Maurienne joue cependant un rôle particulier : les nombreux mariages qui y sont célébrés n'attirent qu'une épouse et un gendre.

Bilan général des migrations en 1734

Les consignes du sel de 1726 à 1734

Les consignes du sel, réalisées pour inventorier la population de fait ne comprenant que les présents (dont l'âge n'est d'ailleurs pas précisé) ne peuvent nous donner aucune information directe sur les migrations.

Nous les présentons ici pour montrer qu'au terme d'un traitement faisant un appel important à la structuration de la population il est au moins possible d'établir des pyramides des âges représentatives, assez comparables à ce que donnent les recensements.

Les graphiques suivants présentent, à titre d'exemple, les pyramides ainsi acquises en 1726, 1729 et 1734 ; cette dernière pouvant être rapprochée de celle du recensement de la même année, est présentée, à nouveau pour comparaison, dans le dernier graphique.

Consigne de 1726 Consigne de 1729
Consigne de 1734 Recensement de 1734

Il apparaît que les pyramides issues des consignes sont de qualité apparemment inférieure à celles des recensements. Cette constatation pourrait être dûe :

Les deux exemples de l'année 1734 montrent cependant une assez bonne convergence des deux types de sources.

Des calculs identiques à ceux faits pour la consigne des mâles de 1726 donnent les résultats suivants en estimant les absents masculins entre 10 et 45 ans et les absents féminins entre 15 et 35 ans :

  Hommes Femmes
Nombre total d'émigrés estimé 97 48
Proportion des émigrés dans la population totale (%) 20 8

Les ordres de grandeurs sont très voisins de ceux fournis par le recencement de la même année... mais il ne s'agit que d'ordres de grandeurs. Ces derniers sont cependant instructifs quand seules les consignes du sel sont disponibles. Les consignes du sel peuvent donc servir même à des fins quantitatives.

Au moins peut-on constater les déficits des présents qui apparaissent systématiquement aux âges intermédiaires. Couvrant près de 10 ans, les consignes mettent en évidence que les effectifs manquants ne se décalent pas dans les âges avec l'écoulement du temps entre les consignes. Si les déficits traduisaient un phénomène conjoncturel lié à une époque particulière, les creux des pyramide devraient monter de deux tranches d'âge de 5 ans dans les pyramides. On a donc affaire à un phénomène structurel quasi permanent de départs à des âges précis. L'importance des creux est alors un marqueur approximatif mais nettement indicatif de l'importance de l'émigration aux dates des dénombrements.

Les consignes du sel de 1759 et de 1789

30 ans séparent ces deux consignes qui sont très isolées dans le temps. Celle de 1759 est rédigée par un secrétaire d'origine étrangère à Fontcouverte. Connaît-il bien les personnes et les habitudes locales ? Nous avons des doutes. Celle de 1789 est rédigée par le célèbre notaire Saturnin Bouttaz à qui nous faisons plus confiance. La population de fait de Fontcouverte paraît faible en 1759 (soit 100 habitants de moins qu'en 1789). Cette anomalie pourrait cependant traduire une certaine vérité mais aussi le non enregistrement de migrants saisonniers.

La pyramide de 1759 est établie dans des conditions difficiles alors que celle de 1789 est issue d'un document riche en informations (en particulier l'âge des personnes mentionnées). On ne s'étonne donc pas des différences perceptibles.

Consigne de 1759 Consigne de 1789

Quoiqu'il en soit, la pyramide de 1759 montre les déficits classiques aux âges intermédiaires qui se poursuivraient, au moins pour les hommes aux âges plus élevés. L'absence de documents immédiatement antérieurs à 1759 ne nous permet pas un jugement correct de ce fait si ce n'est qu'on pourrait admettre une période fortement émigratrice 50 ans avant 1759.

Quant à la pyramide de 1789, elle retrouve une allure plus classique, digne d'un vrai recensement, très pyramidale, avec encore les déficits des âges intermédiaire, relativement faibles, surtout perceptibles chez les hommes, confirmant plus de 50 ans après la consigne du sel de 1734 le caractère conjoncturel mais répétitif des émigrations.

Les recensements français de 1876, 1786 et 1796

Ces recensements sont réalisés suivant des normes homogènes permettant l'inventaire de la population de fait. Mais les normes s'écartent éventuellement des anciennes directives. En particulier, des personnes possédant une maison à Fontcouverte mais n'y habitant pas en permanence sont recensées. On peut ainsi prendre en compte des personnes qui ne l'étaient pas autrefois. Par contre, logiquement, aucune mention d'émigrés n'est faite. Les âges précisés permettent l'établissement de pyramides des âges crédibles.

La pyramide de 1876 présente une grande régularité des effectifs féminins : l'émigration semble réduite ou, en tout cas plus diffuse.

De leur côté, les hommes, en nombre global réduit, soit 618, par rapport à celui des femmes, soit 712 (ce qui constitue probablement un effectif total maximum dans l'histoire de Fontcouverte) sont encore marqués par des effectifs faibles entre 20 et 40 ans ; ces mouvements masculins débuteraient donc à un âge plus élevé qu'autrefois.

Les caractéristiques de cette émigration sont résumées dans les ordres de grandeurs suivants :

  Hommes
Nombre total d'émigrés estimé 66
Proportion des émigrés dans la population totale (%) 11

Le phénomène serait donc nettement plus faible qu'autrefois, tant en volume qu'en proportion de la population totale. Mais rien n'exclut que les anciennes migrations classiques n'aient pas un certain effet sur les effectifs plus âgés par augmentation des émigrations aux âges intermédiaires qui seraient dévenues plus souvent définitives.

Les différences entre hommes et femmes sont justifiées par des faits (le célibat) analysés dans une étude particulière s'appuyant sur l'état civil.

La pyramide de 1886 garde pour les femmes l'aspect connu en 1876. Du côté des hommes, une irrégularité des effectifs apparaît autours des émigrations habituelles. Il est alors difficile de distinguer l'effet conjoncturel des migrations aux âges intermédiaires de celui devenu structurel des migrations aux âges immédiatement supérieurs ou d'une proportion accrue des émigrations définitives. Les hommes présentent toujours un net déficit global supérieur à celui des femmes.

Enfin, la pyramide de 1896 prolonge les constatations faites en 1886 (poursuite des déficits masculins jusqu'à 60 ans) mais on doit noter la réduction globale des effectfs et le vieillissement de la population caractérisée par la raréfaction des plus jeunes (diminution du nombre des mères potentielles et peut-être apparition d'une tendance à la limitation des naissances) et l'augmentation de la proportion des plus âgés (par allongement de la durée de vie).

Au cours de la fin du XIXe siècle, l'effet des émigrations successives se propagerait vers les âges élevés, couvrant plus des deux tiers supérieurs de la pyramide en 1896. Cette émigration généralisée est pratiquement impossible à estimer ici bien qu'elle soit à l'origine du dépeuplement de Fontcouverte en fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe.