Fontcouverte
 

Consigne des mâles de la paroisse de Fontcouverte de 1726

    

C’est par une ordonnance du 24 septembre 1713 que Victor-Amédée II prescrit le recensement des hommes de ses Etats en vue de la formation des régiments provinciaux de ses armées. Le recensement devait être fait tous les six ans au mois de décembre. La bibliographie constate qu’il ne reste pas de traces de ces documents avant 1726 en Haute-Savoie et même 1755 en Savoie. Pourtant les consignes détaillées de 1713 précisaient que trois exemplaires devaient être établis, l’un pour le juge-mage, le second pour l’Office général des soldes, le dernier restant dans les archives locales de la communauté.

Entête de la consigne des mâles de 1726
(en fait la dernière page après pliage du document
suivant les vieilles habitudes de classement de l'époque)

C’est donc par un heureux hasard que nous avons pu retrouver un exemplaire de la consigne de 1726 dans les archives conservées à l’Evêché concernant Fontcouverte (et non dans celles de la cure). Duquel des trois exemplaires s’agit-il ? L’exemplaire attribué à la communauté aurait pu se retrouver dans les archives de la mairie de Fontcouverte, nous ne le savons pas ; il aurait pu aussi être inclus aux archives de la cure comme nombres de documents de l’administration laïque de la communauté mais ce sont les archives de l’Evêché qui nous l’ont donné. Par ailleurs certaines indications portées sur l’exemplaire retrouvé n’étaient pas à mentionner dans l’exemplaire commun, du moins à en croire les consignes du pouvoir central… le rédacteur de la consigne aurait-il manifesté un excès de zèle dans le cas présent ? On peut en douter. Le Seigneur-évêque aurait-il été particulièrement intéressé par les hommes susceptibles d’être mobilisés par Victor-Emmanuel… peu probable ? L'exemplaire de la communauté se serait-il alors glissé dans les archives de l'Evêché ce qui expliquerait la rareté de ces documents en Savoie ? C'est sans doute le cas tant les archives ont un devenir incertain.

Quoi qu’il en soit, la consigne est un document fort intéressant pour l’époque même s’il ne s’intéresse qu'à la moitié masculine de la population. Elle a été rédigée suivant des directives précises qu’on retrouvera dans les recensements de la population qui suivront comme celui de 1734 (une traduction complète en français de ces prescriptions est donnée par Devos, Gabion, Mariotte, Abry dans « La pratique des documents anciens »).

Voici quelques unes des directives royales de 1713 particulièrement importantes pour nous.

En foy de quoy tous les intervenants qui savaient le faire ont signé

A Fontcouverte, les ordres ont été relativement bien suivis. La consigne a été réalisée par Jean Gilbert substitut de Me Jacques Anselme notaire collégié, suite à l'ordonnance de Monsieur l'Intendant de la province de Maurienne du 19 mai 1726. Des moyens importants ont été mis en œuvre : le secrétaire a été aidé par Claude Anselme et Alexandre Boisson Carles avec l'assistance de Jean Baptiste Boisson et Noé Vincent syndics ainsi que Georges Chaudet, Antoine Bonnel et Jean Covarel soldats dans le Régiment national de Tarentaise. Par contre, la consigne n'a été exécutée, suite à l'ordonnance tardive de l'Intendant, qu'au mois de juin et non en décembre, le document final étant daté du 19 juin 1726. Nous avons retenu la date du 15 juin pour le calcul des âges au moment de la consigne.

Qualité de la consigne, difficultés

Respectant assez scrupuleusement la directive, la consigne peut donc être considérée comme de qualité excellente surtout pour un début de XVIIIe siècle.

La notion de maison telle qu’employée dans la directive ne correspond pas à celle que nous utilisons par ailleurs. Il ne s’agit pas des hommes vivant sous un même toit mais, en fait, de la lignée masculine des chefs puisqu’on trouve dans une même maison des enfants qui ont quitté depuis longtemps le domicile de leurs parents pour aller au loin... un peu comme lors d'un certain recensement de l'an 0 de l'ère chrétienne à l'occasion duquel il fallait faire un long chemin pour se faire enregistrer dans le village de ses ancêtres.

Le curé de Modane... une maison !

Inversement, un prêtre peut constitué une maison à lui seul alors qu'il est titulaire d'une paroisse en Maurienne. On ne peut donc pas déduire de la consigne le nombre de feux réels de Fontcouverte en 1726.

A en croire le secrétaire, l'enquête dans la paroisse aurait eu lieu du 9 au 13 juin 1726. Si c'est bien le cas, 3 garçons nés entre le 6 mai et le 3 juin 1725 auraient été omis parmi ceux de un an révolu.

Quelques erreurs sont possibles sur l'état matrimonial des hommes, des veufs très probables sont notés comme mariés.

Le tableau récapitulatif final semble avoir omis un homme de la catégorie 2.

Il est difficile de déterminer le nombre exact des absents, du moins de séparer ceux qui ont quitté définitivement la paroisse de ceux qui, selon toute probabilité, reviendront : « parti depuis 15 jours pour faire les foins dans le Piémont » pourrait indiquer une occupation temporaire mais certains n’en sont pas revenus après plusieurs années.

Enfin, il faut garder à l'esprit que les enfants de moins de 1 an (ou réputés tels) ne sont pas consignés.

Résultats numériques globaux

Nombre de maisons recensées : 270

Population masculine

Nombre d'hommes Plus de 1 an
consignés
Plus de 1 an
présents
Celibataires Mariés Veufs Indéterminés
667 571 321 215 34 1

 

Nombre d'hommes Catégorie 1 Catégorie 2 Catégorie 3 Catégorie 4 Catégorie R Catégorie +
176 69 210 195 14 3

Identification dans l’état civil des hommes consignés

La qualité du document, malgré l’absence des femmes qui sont parfois utiles dans l'identification des personnes d'un dénombrement et des doutes sur les âges, conduit à un taux d'identification très correct, voisin de ceux de la consigne de mâles de 1713 et du recensement de 1734.

Contrôle des âges

La corrélation entre les âges déductibles de l’état civil et ceux donnés par la consigne est logique et surtout très correcte pour l'époque. Elle prouve la bonne qualité du travail des recenseurs et du secrétaire quand l'affaire est sérieuse.

Les écarts ne dépassent généralement pas 2 à 3 ans en valeur absolue. Quelques écarts plus grands correspondent à des erreurs des recenseurs ou du secrétaire, l'identification des personnes étant a priori ici hors de cause : erreurs de 10 ans le plus souvent, erreurs restées sans explication dans 2 ou 3 cas.

On peut cependant noter une certaine attraction des valeurs rondes des dizaines mais, surtout, un déficit des âges de 39 ans et un excès pour 40. Il s'agit certainement d'une légère fraude sur ces âges, 40 ans étant l'âge pour quitter une quelconque activité militaire au cas où les circonstances le nécessiteraient.

Pyramide des âges

Deux premières pyramides portent sur les seules personnes présentes correspondant à la population de fait.

La première pyramide ci-contre est établie à partir des seuls âges donnés par la consigne.

Elle comporte tous les hommes présents consignés et donne une image apparemment cohérente de la structure démographique des Fontcouvertins en 1726. Elle souffre cependant des anomalies connues sur les âges :

Une seconde est établie sur les bases de la première mais en tenant compte des âges déductibles de la structuration de la population. On peut constater une amélioration faible par rapport à la précédente (les erreurs d'âge ont tendance à se compenser dans les calculs quinquennaux). L'irrégularité des tranches d'âge est inhérente à la taille réduite de l'échantillon représenté. On peut cependant croire à une représentativité plus objective.

On remarque le déficit net des tranches d'âge de 15 à 35 ans que l'on note dans la grande majorité des pyramides observées à Fontcouverte. Nous l'attribuons à une émigration provisoire puisque ce déficit disparait aux âges supérieurs à 35 ans. Ce sont toujours les mêmes tranches qui sont affectées quelle que soit l'époque ; il ne s'agit donc pas d'un phénomène conjoncturel mais typiquement structurel, permanent.

Les deux pyramides suivantes sont établie à partir de l'âge donné par la structuration de la population des personnes présentes identifiées. Les personnes présentes non identifiées, qui sont très peu nombreuses (moins de 4 %), sont reportées avec leur âge donné par le recensement. Les 24 garçons connus d'âge révolu inférieur à 1 an sont ajoutés en les considérant comme présents et célibataires.

La première présente donc la population de fait de Fontcouverte en 1726 c'est à dire celle des hommes considérés comme présents à cette date. De plus, les nombreuses informations données par le secrétaire permettent de distinguer l'état matrimonial de pratiquement tous les Fontcouvertins (il n'en manque qu'un). Pour chaque tranche d'âge, la pyramide fait alors la distinction entre les célibataires, les mariés et les veufs telle qu'elle est précisée dans le document (la structuration de la population confirme l'état matrimonial des individus à quelques exceptions près).

La structure pyramidale classique des populations anciennes est nettement marquée avec une large base et peu d'hommes dépassant l'âge de 70 ans.

Cependant, le déficit classique à Fontcouverte des tranches d'âge entre 15 et 40 ans apparaît évident, affectant mariés et célibataires, peut-être plus ces derniers.

La progression logique de l'état matrimonial en fonction de l'âge se résume ainsi. La proportion des célibataires décroit régulièrement mais rapidement à partir de 20 ans, principalement par mariage et accessoirement par décès. Au-delà de 50 ans, leur proportion est très faible. Quant aux veufs, ils n'apparaissent en nombre significatif qu'à partir de 45 ans pour devenir majoritaires à partir de 65 ans.

La seconde pyramide a pour but de mettre en évidence la répartition des absents dans la struture démographique des Fontcouvertins en 1726 et de tenter de justifier les déficits d'effectif constatés entre 15 et 35 ans.

Elle superpose alors aux effectifs des hommes présents (y compris les 24 garçons de moins de 1 an révolu censés être tous présents) ceux des hommes absents suivant leur âge.

Le graphique met en évidence :

Pour les âges compris entre 20 et 35 ans :

Tranches d'âge Nombre total d'hommes Nombre de présents Nombre d'absents Proportion des absent
dans l'effectif total
20 - 25 ans 74 48 26 35 %
25 - 30 ans 58 40 18 31 %
30 - 35 ans 47 32 15 32 %
Total 179 120 59 33 %

C'est donc un tiers des hommes qui seraient absents avec un maximum entre 20 et 25 ans, nombre d'entre eux revenant cependant finir leurs jours à Fontcouverte.

On peut ainsi constater que cette distribution en âge et en effectif des absents coïncide avec les déficits connus dans la plus part des dénombrements de Fontcouverte entre 15 et 40 ans. Le « trou » observé dans une pyramide des âges peut alors être un indice représentatif de l'intensité de l'émigration à une époque donnée.

Pauvreté et état sanitaire dans la consigne

Le secrétaire signale :

Bien que souvent les pauvres se trouvent être des femmes, en particulier des veuves avec leurs enfants, le nombre de pauvres et mendiants paraît bien faible par rapport à la réalité ; il en est de même pour les estropiés et infirmes voire les imbéciles (2,3 % des hommes présents).

Métiers et position sociale

La disposition d'informations précises concernant les activités professionnelles des Fontcouvertins en 1726 est une occasion d'avoir une image relativement objective de ces dernières pratiquées tant par ceux qui sont restés dans leur paroisse que par ceux qui l'ont quittée. On doit cependant remarquer que ces informations ne concernent que les chefs de maison et, parfois, quelques émigrés.

Les fonctions « administratives »

On retrouve les traditionnels notaires royal, Jean Baptiste Anselme, ou collégié, Antoine Dompnier, tous deux âgés de 60 ans.

Sans doute peut-on leur adjoindre ceux dont la profession est signalée sous le terme de « praticien » : Jean Gilbert Collet, 36 ans, présenté dans la consigne comme substitut du notaire collégié Maître Jacques Anselme, secrétaire de la communauté et rédacteur de la consigne et qui signe simplement Jean Collet, Jean Baptiste Dompnier, 33 ans, et Claude Dompier, 39 ans, tous deux fils du notaire Antoine, le second semblant exercer sa profession à Saint-Jean-de-Maurienne.

Enfin, Antoine Bonnel est sergent royal.

On peut ajouter ici la catégorie des soldats bien sûr considérés comme absents. Un est consigné comme chef de maison mais les huit autres sont des enfants du chef. On doit distinguer :

Sorlin Anselme marié et soldat volontaire engagé à 32 ans dans la cavalerie royale

Ils ont entre 25 et 44 ans, un seul âgé de 60 ans exerçant son activité militaire depuis 27 ans.

A l'occasion, on peut noter le vocable de Compagnie Colonelle des régiments : il s'agit certainement de ce que l'on appellerait de nos jours une compagnie de commandement.

Les fonctions « opérationnelles »

Elles concernent les hommes contribuant directement à la vie matérielle de la paroisse ou des lieux où ils ont émigrés. On trouve ainsi :

On peut noter l'absence d'aubergistes ou de cabaretiers.

Les écclésiastiques

La paroisse de Fontcouverte aurait donné 13 prêtres âgés de 27 à 72 ans tandis que le curé Jean Baptiste Favier serait originaire de la paroisse du Châtel.

Parmi les 13 prếtres issus de Fontcouverte, Pierre Gilbert Collet est vicaire de la paroisse, Louis Rossat poursuit ses études théologiques à Chambéry (on peut noter au passage que le patronyme Rossat donnera un Jean Pierre Rossat, né à Fontcouverte en 1751, evêque de Verdun entre 1844 et 1866), Philippe Bullière est aumônier chez un noble du Dauphiné, les autres, dont un chanoine d'Aiguebelle, exerçant leur ministère dans diverses paroisses ou chapitres du diocèse de Maurienne.

Fontcouverte aurait donc donné à l'Eglise six prêtres par génération. Neuf familles se partagent ces prêtres ; quatre en ont donné deux.

Les migrations

Les hommes étant généralement plus mobiles que les femmes, la consigne des mâles conserve tout son intérêt bien que ne traitant que la moitié de la population mais probablement les deux tiers des cas masculins.

Emigrants

96 hommes sont mentionnés comme n'habitant pas Fontcouverte. Tous n'ont pas la même histoire.

Les prêtres ont pour vocation d'assurer leur sacerdoce dans les paroisses que leur affecte l'évêque et, bien souvent, de mourir dans la dernière. La consigne donne ainsi 12 prêtres émigrants dont un seul, aumônier d'un noble dauphinois, est revenu mourir à Fontcouverte. 9 à coup sûr, 3 autres probablement (dont 2 n'ont pu être identifiés dans notre structuration de la population) sont morts en dehors de leur paroisse d'origine. Pratiquement, du moins en 1726 car ce n'était pas le cas dans les deux premiers tiers du XVIIe siècle, les prêtres sont ainsi tous, par définition, des émigrants définitifs potentiels. Leur affectation est presque exclusivement l'évêché de Maurienne, la moitié se trouvant affectée dans les paroisses voisines de Fontcouverte.

Les soldats ont, eux aussi, vocation à vivre loin de leurs attaches d'origine. Cependant, une fois leur carrière militaire terminée, ils peuvent éprouver le besoin de revenir dans leur paroisse s'ils n'ont pas fait souche ailleurs ou s'ils ne se sont pas fixés pendant leurs pérégrinations. On constate que sur 9 soldats absents 7 n'ont laissé aucune trace à Fontcouverte, 2 seulement étant rentrés dans leur famille. Les soldats sont donc souvent des émigrants définitifs.

Tous les 75 autres absents ont des devenirs très variables. Si l'on considère qu'un homme absent de Fontcouverte en 1726 et n'ayant laissé aucun signe de vie (mariage, enfants ou décès) dans sa paroisse après 1726 est un émigrant supposé définitif, on trouve que 43 sont des émigrants définitifs alors que 27 sont revenus plus ou moins vite, généralement avant 4 ou 5 ans, à Fontcouverte (5 restent indéterminés). Ces émigrants seraient donc approximativement pour 60 % des émigrants « définitifs » à en croire notre définition et pour 40 % des émigrants « provisoires » ainsi appelés pour les distinguer des émigrants saisonniers qui quittent leur paroisse pour la période hivernale pendant laquelle les travaux des champs ne les retiennnent pas chez eux, sorte d'émigrés dont nous ne connaissons pas l'effectif. On peut noter que la consigne a été réalisée au mois de juin, soit à une époque où les migrants saisonniers devraient être, probablement, rentrés en majorité.

Cette distinction faite sur la présence ou l'absence de traces laissées à Fontcouverte après 1726 ne semble pas arbitraire. Le graphique de la proportion cumulée des durées d'absence affichées dans la consigne (durées inférieures ou égales à une valeur donnée en années) montre une nette différence entre les « définitifs » et les « provisoires ». En excluant quelques rares cas extrêmes, on constate que les proportions cumulées des durées d'absence données par la consigne se répartissent ainsi :

Durée
connue
d'absence
Moins de
1 an
Moins de
5 ans
Moins de
10 ans
Moins de
15 ans
« provisoires » 55 % 79 % 90 % 97 %
« définitifs » 27 % 52 % 79 % 91 %

Dans la mesure où il n'est précisé que la durée des absences constatées en 1726 et non leur durée totale, une interprétation plus précise a été faite pour ce qui concerne les absents « provisoires ». Elle donne une estimation des durées d'absence réelles probables.

On constate alors que :

Globalement on peut donc admettre que, parmi les 667 hommes de 1726, 96 sont absents de Fontcouverte et auraient donc émigré au moins une fois dans leur vie, soit un peu plus de 14 % du total. 62 ne seraient pas revenu à Fontcouverte soit 65 % des migrants et 9 % du total.

Quant aux destinations des émigrants, les proportions qui les concernent sont les suivantes par ordre décroissant :

Les autres destinations ne représentent chacune qu'une à trois personnes, soit dans l'ordre décroissant, l'Auvergne (pour faire du commerce), Albiez-le-Vieux, Avignon (sans doute au grand collège Saint Nicolas pour des études supérieures d'un jeune prêtre) et enfin Chambéry (pour exercer le métier de porteur).

Manifestement il fallait quitter la Savoie pour chercher fortune  !

Immigrants

Ils se résument à 3 personnes seulement : un valet d'Albiez-le-Vieux, deux journaliers de Saint-Pancrace. On peut leur ajouter le curé Jean Baptiste Favier originaire de la paroisse du Châtel mort à Fontcouverte en 1733, immigrant définitif du fait de sa fonction spirituelle.

Ainsi, s'agit-il de bien peu de personnes provenant toutes de paroisses très voisines.

Le solde migratoire

Il apparaît donc pratiquement orienté vers la seule émigration.