Fontcouverte
 

Consigne du sel pour l'année 1790

    

Cette consigne est la dernière que nous possédions de l'époque savoyarde.

La source utilisée est constituée des photographies en noir et blanc des Archives départementales de Savoie du document établi par le secrétaire de Fontcouverte.

La première double page de la consigne avec ses rubriques

La consigne mentionne une période de dénombrement de « courant novembre 1789 ». Des enfants de « un mois » y sont portés nés le 9 et le 18 octobre ce qui attribue au dénombrement une date de novembre, particulièrement la fin du mois. Un homme Antoine Collet , mort le 4 décembre, est consigné mais est noté décédé. L'inventaire de la population n'aurait duré que quelques jours fin novembre et aurait été actualisé début décembre. La consigne a été réalisée par Saturnin Bouttaz secrétaire assisté de Pierre Bonnel syndic de la communauté, Michel Sibué l'ainé, Michel Sibué le jeune, Jean Baptiste Augert, Pierre Covarel et Louis Chabert.

L’état final est daté du 16 décembre 1789 et signé par Saturnin Bouttaz. Nous retenons la date du 15 décembre 1789 pour nos calculs des âges.

Le terme « famille » est donné dans la consigne comme unité de regroupement des personnes. Nous l'utilisons comme tel dans ce qui suit.

Pour les personnes, sont mentionnés les prénom et nom du chef de « famille », le prénom des autres personnes avec le plus souvent une filiation correcte et, information très utile pour identifier les personnes mentionnées, leur âge même s'il est approxilatif. Les valets et servantes sont la plus part du temps mentionnés par leur seul prénom ce qui empêche leur identification. Un décompte des majeurs et des mineurs de 5 ans est précisé. Deux « familles » correspondent à des orphelins dont le dernier parent est mort de façon très récente mais sert encore à la définition de la « famille ».

On note encore :

Pour le bétail, les diverses rubriques sont, pour certaines, différentes des autres consignes. Il apparaît les mulets ; les cochons à saler sont toujours inexistants mais il y a des chèvres à saler chez le curé et dans une seule autre « famille ». Les rubriques des « montagnes » et des « vaches (en montagne) » sont très mal renseignées, souvent de façon érronée. A quoi correspondent d'ailleurs, les vaches en montagne au mois de décembre ? Ces rubriques sont pratiquement inutilisables.

Le secrétaire rapppelle le taux d'imposition en livres de sel des majeurs et des diverses bêtes :

Majeurs de 5 ans Vaches Bœufs, veaux
et génisses
Ovins Caprins
8 8 4 1 1

Le sel est réparti sans excédent mais le total conduit à 15 762 lires, soit approximativement 92 balles. Si un quota est imposé à Fontcouverte, celui-ci est en augmentation de 8 balles par rapport à 1759.

Qualité, imprécisions et difficultés

Le 30 juin 1790 le conseil de la communauté valide la consigne
Le 30 janvier 1790, soit après plus d'un mois de réflexion, le Conseil de la Communauté de Fontouverte se réunit pour procéder à la vérification de la consigne du sel pour l'année 1790. Cette dernière a été trouvée « exacte et correcte ».

Le secrétaire étant le célèbre notaire Saturnin Bouttaz, il ne pouvait en être autrement... et pourtant !

Nous avons voulu en avoir le coeur net... il est vrai avec des moyens bien supérieurs à ceux de l'époque. Des suprises nous attendaient.

Pour les personnes, on note entre autres particularités les suivantes :

Ces constatations donnent l’impression que le secrétaire de Fontcouverte a une certaine tendance à utiliser les consignes établies les années précédentes pour en élaborer une nouvelle.

Quant aux filles « en service », si elles le sont dans Fontcouverte (c’est à coup sûr le cas pour deux d’entre elles) on devrait les retrouver dans le ménage où elles travaillent. On peut donc considérer que les personnes notées en service le sont hors Fontcouverte et donc absentes. De leur côté les « servantes » ne sont généralement pas identifiables le texte ne donnant généralement pas de nom ni prénom. Deux cas d’exception concerneraient des filles de Fontcouverte. On s’étonne qu’il n’y ait pas plus de ces dernières. Enfin, les « absents » (des garçons), dont l'un d'eux est au régiment, ne sont pas considérés à juste titre comme faisant partie de la population imposable.

Concernant les calculs de totaux des tableaux, s'ils sont corrects pour les majeurs de 5 ans, ils sont grossièrement faux pour les mineurs.

Pour le bétail, les valeurs numériques montrent des erreurs très nombreuses mais, dans la plupart des cas, relativement modiques. On constate cependant l’affectation de 2 vaches à la « famille » 72 ; c'est une erreur confirmée par les totaux de la page et par le calcul du sel réparti (la pauvreté du troupeau exclut d’ailleurs la présence de 2 vaches). Les nombres des vaches en montagne sont totalement erronés, les écarts croissant au fil des pages jusqu’à 50 unités pour un total avancé de 310 vaches.

Enfin, une erreur de 6 unités apparaît sur le total du sel réparti (pourtant objet principal de la consigne), écart provenant d’une erreur en page 17 : la valeur exacte de 11117 est notée 11111... Saturnin Bouttaz a du mal à se relire !

Le secrétaire semble donc porter une certaine attention aux valeurs importantes (nombre des majeurs et total du sel) mais est peu préoccupé de l’exactitude des autres informations. Il semblerait que ces incertitudes proviennent principalement d’erreurs de recopie de résultats de calculs faits dans des documents autres que la consigne elle-même.

Résultats globaux

Le tableau récapitilatif en fin de document fait état des nombres suivants.

« Familles » Majeurs de 5 ans Mineurs de 5 ans
227 1067 108

 

Bœufs veaux
et génisses
Vaches Moutons Brebis Chèvres
187 619 382 851 241

 

Mulets Chèvres et
petit bétail
à saler
Cabaret Montagnes Vaches
(en montagne ?)
Sel réparti
114 14 1 48 310 15762

Mais si l'on part du principe que les informations de base portées dans les diverses « familles » sont les plus crédibles et tenant compte des lacunes et erreurs les plus évidentes nous retenons les valeurs suivantes :

Nombre de « familles » : 227 (228)

Population présente : 1232 (1236)

Hommes Femmes Total
Majeurs de 5 ans 551 (552) 526 (527) 1077 (1079)
Mineurs de 5 ans 74 (75) 81 (82) 155 (157)

Les nombres entre parenthèses sont des valeurs possibles compte tenu des erreurs de consignation.

Concernant les mineurs, il est tenu compte d'un défaut de consignation de 23 enfants constatée par comparaison avec la structuration de la population.

Nombre moyen de personnes par « famille » : 5,4

Bétail

Bœufs veaux
et génisses
Vaches Moutons Brebis Chèvres
187 622 379 852 241

 

Mulets Chèvres et
petit bétail
à saler
Cabaret Montagnes Vaches
(en montagne ?)
Sel réparti
113 14 1 48 357 15768

Identification dans l'état civil des personnes consignées

Parmi les 1 241 personnes portées dans la consigne, 23 ne sont pas identifiables (curé, personnes en service sans identité précise). Sur les 1 218 personnes identifiables, 1 193 ont pu être reconnues dans la structuration de la population soit un taux d'identification de 98 %. Cette valeur très élevée pour une consigne du sel et digne d'un bon recensement est due en particulier à la mention des âges dans le document.

Contrôle des âges mentionnés dans la consigne

Exceptionnellement, la consigne donne les âges tant des majeurs que des mineurs de 5 ans. C'est une opportunité pour observer la précision avec laquelle le secrétaire de Fontcouverte relève les âges dans sa consigne du sel.

Population totale

En valeur absolue les écarts sont en moyenne de 5 ans, atteignent parfois 10 ans en particulier aux âges dépassant 30 ans. Des écarts de 10 et surtout de 20 ans sont probablement des erreurs d'écriture du secrétaire, peut-être aussi des difficultés de lecture de notre part des photographies des Archives départementales de Savoie.

Globalement, la précision est la plus médiocre parmi celles rencontrée dans l'ensemble des dénombrements.

Mineurs de 5 ans

Pour les enfants mineurs de 5 ans, la corrélation n'est pas meilleure. Les écarts de 1 an ou plus sont fréquents. Quelques valeurs sont carrément aberrantes.

L'impression est donc que le secrétaire ne porte pas grande importance aux âges qu'il mentionne. On pourrait le pardonner pour les majeurs. Par contre, l'Intendant pourrait être plus exigeant pour l'âge des enfants allant atteindre ou ayant dépassé les 5 ans révolus.

Proportion des mineurs de 5 ans dans la population totale

La liste des mineurs paraît incomplète et leur nombre particulièrement faux. Nous avons tenté de porter remède à ces défauts.

L'estimation de la proportion des mineurs de 5 ans dans la population totale de la consigne pour 1790 conduit à découvrir 23 jeunes enfants que donne la structuration de la population et qui ne sont pas mentionnés dans la consigne.

Avec un nombre probable de mineurs de 155 pour une population totale présente de 1 232 (1 209 présents et 23 mineurs non consignés), la proportion recherchée serait donc de 12,6 %. Cette valeur est relativement élevée si l'on se réfère aux valeurs données pour la Maurienne à l'époque (11,5 %).

Pyramide des âges

Pyramide à partir des âges donnés dans la consigne

La pyramide issue de l'enregistrement des âges dans la consigne des personnes présentes à Fontcouverte est entachée :

Le premier type d'erreur induit une certaine irrégularité des diverses tranches d'âge. Le second conduit à une proportion anormalement faible de la tranche 0 - 5 ans.

Pyramide à partir de l’état civil et de la structuration de la population

La pyramide issue des seules personnes qui ont pu être identifiées dans la structuration de la population (98 %) avec leur âge déduit de leur date de naissance est relativement plus régulière, de forme pyramidale avec une large base.

Elle présente encore des irrégularités liées à la taille réduite de la population, les tranches 20 - 35 ans des hommes semblant présenter un certain déficit.

Pyramide à partir de l’état civil et de la structuration de la population complétés par la consigne

La complémentation de la pyramide ci-dessus par les rares personnes qui n'ont pu être identifiées (2 %) avec leur âge donné dans la consigne n'apporte qu'une amélioration mineure. Mais la pyramide est plus complète.

La domesticité

La consigne mentionne 10 servantes et 9 domestiques. Parmi les servantes, 2 pourraient être considérées comme originaires de Fontcouverte et y travailleraient. Parmi les domestiques, 2 sont en fait des servantes, des nièces (?) du curé, travaillant à la cure.

24 personnes sont notées « en service » dont probablement les 2 servantes originaires de Fontcouverte. Il s'agit de 7 hommes et 17 femmes qui exerceraient leur activité hors Fontcouverte.

Comparé aux autres dénombrements, le volume de ce personnel est relativement élevé mais reste assez réduit dans l'absolu. Le personnel en service à Foncouverte est entièrement disséminé dans les diverses « familles », aucunes d'entre elles n'ayant une taille suffisante pour concentrer plus de moyens. Quant aux personnes « en service », la consigne ne permet pas de savoir où elles travaillent.

Richesse et pauvreté

La consigne précise dans une classification succincte les conditions de vie de 224 « familles » :

Cette répartition, faite par un observateur vivant à Fontcouverte à l'époque, semble plus proche de la réalité que celle qui est précisée sur des critères administratifs dans d'autres dénombrements. Elle paraît cependant optimiste en comparaison des estimations que nous faisons dans les dénombrements ; il est probable que l'appréciation des conditions de vie faite à l'époque soit différente de celles que nous faisons avec nos mots modernes. Elle permet alors un étalommage des qualificatifs que nous donnons à la pauvreté et à la richesse dans les autres dénombrements.

Le calcul d’un taux de richesse individuel (TRI) fondé sur la taille du cheptel de chaque « famille » permet une estimation standard de la richesse des diverses « familles ». Le cheptel pris en compte est celui permanent d'hiver à l'exclusion des mulets de façon à rendre les résultats comparables à ceux des autres dénombrements. Quant au regroupement des bœufs, veaux et génisses, nous le valorisons à 3,5 unités comme en 1759 (l'imposition en sel est de 4 livres, valeur ronde très voisine de celle que nous utilisons pour représenter les proportions relatives des différentes bêtes).

Les TRI des 227 « familles » de Fontcouverte s’étagent de 0 à 21 (le TRI de 21 a été tronqué dans le graphique).

Les « familles » dont les TRI sont compris entre 2 et 5 sont les plus fréquentes et totalisent la moitié des « familles » de Fontcouverte. Quant aux TRI supérieurs à 5, leur fréquence décroît rapidement avec le TRI pour constituer des cas exceptionnels pour les TRI supérieurs à 12.

En répartissant les « familles » par catégories de richesse on constate les proportions suivantes :

Ces proportions sont à comparer aux estimations du secrétaire (voir ci-dessous).

En gros 88 % des « familles » sont constituées de miséreux, pauvres et précaires (dont le quart est dans la misère), une très faible proportion (3 %) est constituée par les aisées et les riches.

On peut encore s'intéresser aux personnes et non plus aux « familles ».

Le recentrement sur le niveau de richesse des pauvres et précaires est encore accentué en tenant compte du nombre de personnes vivant dans les diverses « familles ». Ce sont ces « familles » qui sont effectivement les plus peuplées tandis que les plus pauvres sont d'effectif relativement réduit.

La comparaison avec la consigne de 1759 donne une indication intéressante. L'acroissement en 30 ans du volume de la population passant de 1130 habitants en 1759 à 1232 en 1789, soit 9 %, semble ne profiter qu'aux catégories des pauvres parmi les moins malheureux et non à l'ensemble de la population. Tout se passerait alors comme si la limite du nombre de bouches susceptibles d'être nourries à peu près correctement à Fontcouverte serait, dans les conditions de l'époque, d'au maximum 1200 personnes. Seuls des progrès techniques seraient susceptibles de permettre un accroissemnt du volume de la population.

On note encore que 58 « familles » possèdent un métier à tisser. Si leur production est probablement d'abord destinée à un usage domestique, quelques draps de laine ou tissus de chanvre doivent bien être marchandés à Fontcouverte ou à Saint-Jean-de-Maurienne... mais cela nous échappe.

Le tableau suivant donne la répartitions des tisserands dans les diverses catégories du secrétaire.

Catégories Pauvres Très médiocres Médiocres Aisés
(a) Répartition des tisserands % 34 21 39 9
(b) Proportion dans la catégorie % 33 57 19 16

Les 58 tisserands sont répartis de façon irrégulière suivant le niveau social donné par le secrétaire (ligne (a)). Les proportions (ligne (b)) dépendent fortement du nombre variable de Fontcouvertins dans chaque catégorie.

La ligne (b) donne alors la proportion des « familles » de chaque catégorie pratiquant le tissage. Ce sont manifestement les catégories pauvres (ou guère mieux susceptibles de posséder un métier et l'organisation nécessaire) qui pratiquent le plus cette activité. Plus de la moitié des très médiocres le font. Viennent ensuite 33 % des pauvres. Les médiocres et les aisés interviennent ensuite en proportions décroissantes mais non négligeables.

Etalonnage des niveaux de richesse établis sur le critère du TRI

Profitons des informations que donne le secrétaire de la consigne du sel pour 1790 avec ses propres catégories de richesse. Elles ont l'avantage de représenter la perception qu'en a un habitant en 1789, perception à comparer à celle obtenue avec le calcul des richesses sur le seul critère du bétail (TRI).

Dans le graphique sont représentésentées, pour chaque niveau de richesses définies par le TRI, le nombre de « familles » classées comme pauvres, très médiocres, médiocres ou aisées par le secrétaire.

La comparaison est instructive dans ce sens qu'elle justifie le classement par le TRI tout en le nuançant fortement.

Prenant comme exemple les médiocres du secrétaire, ces derniers se retrouvent distribués dans nos divers niveaux de richesse allant de misérables à aisés. Mais leur répartition est très prépondérente dans les niveaux des pauvres ([2.5 5[) et des moyens pauvres ou des précaires ([5 7.5[).

Des observations identiques peuvent être faites pour toutes les catégories du secrétaire : chaque catégorie présente un mode (niveau de richesse le plus représenté) et une décroissance rapide de chaque côté du mode lorsque l'on s'en éloigne.

On peut donc croire approximativement aux équivalences :

Consigne du sel Pauvres Très médiocres Médiocres Aisés
TRI Misère
Pauvreté
(Misère)
Pauvreté
Pauvreté
Précarité
Précarité dépassée
Aisance  Richesse

Mais il faut aussi admettre des discordances notoires quand bien même elles seraient relativement peu nombreuses.

Nous confirmons donc notre point de vue :

On peut tenter de comprendre des cas extrêmes d'incohérence, par exemple celui de « familles » réputées aisées par le secrétaire alors qu'elles se retrouvent dans la catégorie des miséreux à en croire leurs TRI.

C'est le cas de la « famille » de Louis Taravel dont l'histoire nous est connue grâce à diverses consignes du sel et à la structuration de la population.

En 1758 il vit aux Adreyts avec sa femme Jeanette et ses quatre premières filles, sa mère, une belle-soeur, deux neveux. Bien que bénéficiant d'une certaine « richesse » avec 5 vaches, 1 génisse, 8 brebis, 2 boucs et 2 chèvres son TRI n'est que de 4 à l'époque ce qui le classe dans les moins pauvres des pauvres. S'il n'avait pas eu la charité d'héberger quatre parents proches son TRI aurait été de 8 ce qui l'aurait fait sortir par le haut de la précarité.

En 1789, on le retrouve veuf depuis 8 ans, âgé de 73 ans (plutôt que 66 ans donnés dans la consigne) et résidant à la Crousaz. Entre temps, il a marié ses 6 filles installées à Pierre Pain, à Réortier Dessus, au Village de l'Eglise, au Villard et à Charvin. Enfin son fils s'est fixé à Charvin après son mariage (aucun de ses enfants ne serait donc resté dans sa maison des Adreyts). Seule, une fille, veuve, se retrouve dans une « famille » réputée pauvre à en croire le secrétaire. Les autres participent à des « familles » aisées ou médiocres. Quand et pourquoi Louis est-il passé des Adreyts à la Crousaz et de quels ressources y dispose-il ? En 1789, on peut penser que, probablement, il vit encore avec quelques moyens suffisants, ne serait-ce qu'en louant ses terres, pour assurer l'aisance à une personne vivant seule. Mais, vu son âge, il ne posséde plus de troupeau ce qui le rétrograde inévitablement dans la catégorie des miséreux du TRI !

Toutes les personnes assez âgées pour ne plus entretenir de bétail ont un TRI de 0 même si elles sont rentières !

Le secrétaire de 1789 a certainement le grand mérite de caractériser objectivement les moyens de survie de ses voisins, en tout cas bien mieux que ne le faisaient, sur des critères administratifs, ses prédécesseurs des années 1720 - 1740. Les définitions des catégories de « richesse » données par G. Girollet, bien que d'apparence catastrophistes, semblent bien proches de la réalité.

Répartition des « familles » et de la population dans les villages

La population des 1 204 habitants présents consignés en décembre 1789 (non compris les 23 mineurs de 5 ans reconnus dans la structuration de la population) se répartit en 227 « familles » différentes dont le lieu de résidence est précisé.

Sur la carte les cercles orange ont une surface proportionnelle à la population de chaque village.

En glissant la souris au centre de chaque cercle il apparait sur la carte le nom du village, le nombre de ses « familles » ainsi que sa population.

Les regroupements de villages suivants ont été faits par le secrétaire :

Avec l'aide de l'Etat de âmes de 1811 dans lequel des villages sont très détaillés, il est possible d'établir les regroupements supplémentaires suivants :

Trois zones apparaissent de surfaces équivalentes.

Les alpages au dessus de la Toussuire à plus de 1 400 mètres d'altitude ne sont pas habités de façon permanente.

Le gros de la population, soit 82 %, se retrouve sur le versant en pente vers l'Arvan situé au nord du Merderel sous les alpages de la Toussuire. Le hameau de la Rochette, avec Pré sous Marin et Vers le Rieu, comporte à lui seul 18 % de la population de Fontcouverte. Si l'on ajoute le Village de l'Eglise, Les Enversets et Maison Blanche, soit 12 %, on rassemble près du tiers de la population.

La population située au sud du Merderet, principamement Charvin mais aussi les hameaux situés sur le versant de l'Arvan, ne retient que 18 % des habitants de la paroisse.

Structure des « familles »

Les relations qu’entretiennent entre eux les membres d’un groupe de Fontcouvertins mentionné dans la consigne conduisent à différents types de familles si les liens sont biologiques et aux ménages s'il apparait de plus des liens de simple cohabitation. La consigne ne permet pas de savoir si plusieurs ménages habitent sous le même toit (maisonnées).

Les familles

La typologie des familles définie par Peter Laslett permet généralement de répartir ces dernières de façon assez claire si elles ne sont pas trop complexes.

Ce n’est pas le cas dans la consigne pour l'année 1790 où l’on rencontre des familles dont la structure ne peut être sérieusement décrite par la typologie de Laslett sans perte d'informations importantes données par le secrétaire.

Suivant la classification de Peter Laslett on distingue les catégories suivantes :

  1. solitaires
  2. sans famille
  3. familles simples ou nucléaires
  4. familles élargies
  5. familles multiples
  6. indéterminés

Dans les lignes qui suivent, les petits logos affichés pour chaque type de famille ne sont qu'un exemple parmi bien d'autres configurations possibles.

Par ordre décroissant de fréquence on rencontre les types de familles suivants.

Les familles simples ou nucléaires (type 3)

Il s'agit de couples mariés avec le plus souvent leurs enfants

Avec 51 % des familles et 43 % des personnes, c'est le type le plus répandu.

Dans 78 % des cas les deux époux du couple sont vivants (type 3a et 3b) et 69 % ont avec eux leurs enfants ; 9 % sont sans enfants et il s'agit alors

Parmi les familles dont un des parents est mort (types 3c et 3d), il s'agit dans les deux tiers des cas du père, les mères restant ainsi bien plus souvent seules.

Globalement on constate donc :

Les familles multiples (type 5)

Il s'agit de familles simples auquelles s'ajoute au moins un couple marié.

Avec 29 % des « familles » et 41 % des personnes, les familles multiples représentent une part importante de la population, à peine inférieure en nombre de personnes à celle des familles simples.

La très grande majorité (89 %) des familles multiples correspond à la cohabitation d'enfants mariés.

Il s'agit très généralement (90 % des cas) d'un seul enfant : pratiquement toujours d'un fils (ou de sa femme si ce fils est mort). Un seul autre cas est celui d'une fille qui n'a pas de frères.

On trouve cependant deux « familles » avec deux fils, une avec trois fils et même une avec quatre fils.

L'abondance de ces familles multiples peut en partie s'expliquer par l'allongement de la durée de vie : les parents vivent plus longtemps avec leurs enfants et restent dans la maison quand leur fils se marie avant de devenir l'héritier (la cohabitation de plusieurs fils mariés restant rare). On constate effectivement nombre de parents qui sont veufs. On doit aussi considérer que les enfants mariés sont relativement jeunes et ont un nombre non négligeable de jeunes enfants.

On note enfin quelques rares cas de familles multiples qui abritent un frère marié.

Les familles élargies (type 4)

Elles sont constituées d’une famille simple de type 3 ayant accueilli un ou plusieurs parents plus ou moins proches du chef ou de son épouse.

Avec 12 % du total des « familles » et 14 % des personnes, elles sont relativement peu nombreuses.

Les « pièces rapportées » sont dans la moitié des cas des parents et dans l'autre des frères ou soeurs. Dans le premier de ces cas il peut y avoir ambiguïté , suivant la rédaction du secrétaire, avec les familles de type 5.

Les solitaires (type 1)

Ce groupe est constitué de personnes vivant seules. Il n'est représenté que par 6 % des « familles » et seulement 1 % des personnes.

Il s'agit dans les trois quart des cas de célibataires et pour un quart de veufs ou veuves, ceux-ci étant plutôt hébergés chez leurs enfants quand ils en ont.

Les sans famille (type 2)

Ils sont constitués de frères et sœurs non mariés, 3 personnes au maximum dans notre cas.

Avec 2 % des « familles » et 1 % des personnes, ils représentent une part très faible de la population.

Les ménages

Il s'agit de « familles » hébergeant une ou plusieurs personnes qui ne font pas partie du noyau familial : personnes « étrangères », personnel de service.

Parmi ce personnel, 12 sont des femmes, 9 des hommes. Ils sont seuls dans chaque « famille » concernée (sauf le curé qui dispose de deux servantes et d'un domestique).

Ils servent autant dans les « familles » déclarées aisées que médiocres par le secrétaire, principalement dans les familles de types 3b, 5b et 4a.

Volume des « familles »

Le volume moyen des « familles » de 5,4 personnes est supérieur à celui rencontré bien souvent dans la France rurale de l’Ancien Régime. Il apparaît en nette augmentation depuis le début du siècle.

L’analyse plus précise de la fréquence des tailles des « familles » montre que :

En tenant compte des types de familles, on trouve naturellement les familles de type 1 (célibataires, veufs ou veuves sans enfants) dans les « familles » à 1 personne ou à 2 personnes si est présent une personne de service ainsi que dans une « famille » à 4 personnes, celle du curé avec ses 3 domestiques.

Les familles de type 2 (frères et soeurs sans parents) apparaissent dans les « familles » à 2 ou 3 personnes.

Les familles simples de type 3 éventuellement complétées par des personnes de service représentent l’essentiel des « familles » de 2 à 6 personnes.

Quant aux familles de type 5 elles ont une proportion croissante avec la taille des « familles », proportion totale pour les « familles » de plus de 10 personnes.

On peut encore déterminer le nombre de personnes de la population vivant dans des « familles » de taille donnée.

Le graphique se déduit simplement des graphiques précédents dans lesquels les effectifs sont pondérés par le nombre correspondant de personnes.

On constate que les deux tiers de la population vivent dans des « familles » de 4 à 8 personnes, un quart dans des « familles » de plus de 8 personnes et un dizième dans des « familles » de moins de 4.

Le cas de la « famille » de 23 personnes, celle de François Bouttaz, est tout à fait exceptionnel tant dans la population de 1789 que dans tous les autres dénombrements connus à Fontcouverte : quatre fils mariés dont un veuf et leurs enfants vivant avec leur père et grand-père, une servante et un troupeau abondant. Nous le citons comme seul exemple que nous ayons dans toute la documentation de Fontcouverte d'une famille véritablement patriarcale.

Nombre d'enfants dans les familles simples (type 3)

L'analyse de la fréquence du nombre d'enfants par « familles » n'est réalisée que pour les familles simples, les familles multiples étant plus complexes à interpréter dans la mesure où interviennent des enfants de deux générations.

Les enfants sont donc assez peu nombreux dans ces familles simples qui représentent près la moitié du peuplement de Fontcouverte.

Les familles multiples feraient, naturellement, apparaître d'assez nombreux petits-enfants.

Le bétail

Les différentes bêtes

Les boeufs, veaux et génisses sont regroupés en une seule catégorie dans la consigne. Par contre, apparaissent les vaches en montagne et les mulets.

L'activité pastorale est largement dominée par l'élevage des moutons et des brebis (45 % des têtes de bétail) alors que les chèvres sont 5 fois moins nombreuses... il est vrai qu'elles ne fournissent que du lait et, le cas échéant, un peu de viande.

Les vaches représentent un petit quart des têtes. Bien qu'intéressantes pour le lait, elles exigent plus de moyens. On doit leur ajouter les veaux, les génisses gardées pour devenir des vaches l'année prochaine ainsi que les boeufs (dont peut-être quelques taureaux) pour les lourds travaux des champs soit au total 7 % des têtes.

113 mulets sont recensés pour la première fois. Il devait bien y en avoir autrefois tant ces animaux paraissent indispensables dans les montagnes. Ils ne représentent alors que 4 % du bétail. On doit certainement pouvoir ajouter des ânes et quelques chevaux.

Quant aux vaches en montagne, on peut penser qu'il s'agit très probablement d'un bétail externe à Fontcouverte qui profite, contre rétribution, des alpages d'altitude en été. Le formulaire de consigne les prévoit bien que ce type de dénombrement se fasse en hiver. Que représente-t-il alors puisque l'on s'attendrait plutôt au décompte de vaches à l'hiverne ? Elles paraissent nombreuses comparativement aux vaches tenues en propriété mais leur décompte très approximatif ne permet pas leur étude sérieuse.

Pour faciliter la comparaison avec les consignes plus anciennes, voici la répartition du bétail excluant les mulets et les vaches en montagne.

On retrouve alors une répartition voisine de celles des consignes antérieure :

La quasi totalité des « familles » (91 %) a l'habitude d'élever simultanément ovins, caprins et bovins. Seules les familles les plus pauvres (7 %) n'ont pas de bovins ou même pas de bétail.

On constate une fois de plus l'absence des porcs.

La taille des troupeaux

Si l'on exclut les petits troupeaux de moins de 5 têtes, le nombre des troupeaux décroit régulièrement quand leur taille augmente de 5 à 50 têtes. Au delà, les troupeaux de plus de 55 bêtes ne sont que 2.

Le nombre de vaches en montagne est particulièrement conséquent et approximativement égal à celui des vaches et génisses dans les troupeaux de plus de 20 têtes. Ce fait pourrait traduire la possession d'alpages privatifs ou de parts dans les communaux dont ne bénéficient pas les détenteurs pauvres de petits troupeaux.

Quelle que soit la taille des troupeaux les ovins et caprins représentent les deux tiers de l'ensemble de ces bêtes et des bovins si l'on ne compte pas les vaches en montagne, proportion voisine de celle des consignes antérieures.

Enfin les mulets n'apparaissent pas dans les petits troupeaux de moins de 5 bêtes ni dans ceux de plus de 30.