Fontcouverte
 

Estimation de la « richesse » des feux

Les dénombrements font généralement état d’un certain nombre de pauvres et de mendiants dans un récapitulatif final.

Par contre aucune indication n’est donnée pour les autres miséreux qui, pourtant, sont bien là. Seule la consigne du sel de 1789 répartit la population en quatre catégories allant de pauvres à aisés. D’ailleurs se pose la définition des personnes jugées pauvres voire mendiantes.

Pratiquement, les seules informations dont on dispose pour déterminer la richesse ou la pauvreté d’un feu dans les dénombrements sont donc le nombre de têtes de bétail dont il dispose.

Définition d'un taux de « richesse » individuel

André Palluel-Guillard a établi un critère tentant de résoudre le problème. Ce taux fondé sur le volume du bétail a été repris par Grégory Girollet dans le cas de Fontcouverte en 1561, 1716 et 1734.

Vous allez le voir...
seuls le chien et les pierres ne font pas partie de la « richesse » !
Il est évident que toute la richesse d’un feu n’est pas constituée du bétail qu’il possède. Cependant ce critère a l’avantage de représenter l’activité et les ressources les plus importantes de la paroisse c'est-à-dire l’élevage procurant une part de la nourriture, une contribution aux travaux des champs et quelques livres et sols pour payer les impôts.

Il ne prend pas en compte d’autres formes de capital comme la propriété foncière, terres cultivables, prairies et alpages, maisons. On sait, par les inventaires lors des décès, que les maisons comptent pour peu comparées au bétail. Quant au capital foncier, il est probable qu’il a une certaine proportionnalité avec le nombre de têtes de bétail qui peuvent être nourries sans que l'on puisse savoir si les terres utilisées sont en propriété ou en location tant que l'on n'a pas analysé des documents tels que ceux relatifs à la taille.

Pour rester dans le domaine pastoral, on connait bien les habitudes qui consistent, pour les familles pauvres, à héberger quelques vaches en hiver. Des moutons et brebis sont reçus dans le cadre de la transhumance d'été. On ne sait pas exactement le revenu qu'en tirent les Fontcouvertins mais il ne doit pas être négligeable pour les feux les plus pauvres.

Enfin, ne sont pas pris en compte des revenus complémentaires à ceux procurés par l’activité pastorale. Bien que les professions exercées par les habitants ne soient pas données de façon systématique et certaine dans les dénombrements anciens, il est certain que les tisserands qui sont nombreux peuvent tirer profit de leur activité annexe. Un journalier avec peu ou pas de bétail a certainement un salaire ou au moins une compensation en nature de son travail. Quant au curé et ses vicaires ils tirent partie de leurs « bénéfices ».

La « richesse » est-elle la même en été et en hiver ?

Une attention particulière doit être portée à la saison à laquelle un dénombrement est fait. Il est très probable en effet que le volume du cheptel d'un feu varie suivant les saisons et il y a plusieurs raisons à cela :

Si tel est le cas, on peut s'attendre à une forte augmentation de la part des jeunes au printemps et en été, cette part diminuant en automne et hiver dans la mesure où ne sont gardées que les bêtes productives destinées à maintenir le troupeau.

Il y aurait donc deux « richesses », voire une infinité : celle d'hiver qui correspond à un véritable capital, investi pour des années, fondé sur le cheptel permanent, celle d'été ajoutant à ce capital les naissances de l'hiver et du printemps. Ces dernières ne seraient pas à proprement parler un capital mais plutôt un revenu annuel permettant quelques achats et le paiement de l'impôt. On passerait ainsi progressivement, suivant la saison exacte d'un dénombrement, d'un capital de printemps à un capital d'hiver en estimant la part du jeune bétail qui sera conservé comme capital.

La question se pose également pour les vaches prises « à l'hiverne ». Ce sont des vaches qui appartienent à des propriétaires extrérieurs à Fontcouverte et prises « en pension » pendant l'hiver dans des maisons peu riches en bétail. Elles ne font donc pas partie du capital fontcouvertin. Par contre, la pension est payée par le lait, le fromage et le veau de chacune de ces vaches ce qui ne constitue qu'un revenu cependant utile aux familles les plus modestes. Quant aux vaches « en montagne », l'été, elles sont pour la même raison un revenu et non un capital.

Cette particularité n'est pas sans importance pour nos recherches puisque les documents qui servent au calcul de la richesse sont élaborés généralement en été pour les recensements, en hiver pour les consignes du sel. Les deux types de documents doivent donc différer d'un montant financier qui nous échappe.

Le principe du calcul du « taux de richesse »

Nous utilisons donc le taux de richesse calculé sur le bétail comme un indicateur intéressant bien que certainement approché permettant en particulier de suivre l’évolution de la richesse des Fontcouvertins dans le temps.

Dans nos calculs, la valeur attribuée à chaque type de bétail est relative par rapport à celles des autres bêtes. Il s’agit donc de coefficients de pondération dont la valeur absolue n’a pas d’importance. Nous les appelons « unités de richesse. »

Les coefficients utilisés par André Palluel-Guillard et Gregory Girollet sont les suivants :

Vaches et bœufs Genisses et veaux Brebis, moutons
et chèvres
Chevaux Mulet et ânes
5 3 1 6 3

De plus, nous utilisons les coefficients suivants, celui des agneaux et chevreaux étant une valeur standard à moduler suivant la date du dénombrement en cause. :

Vaches à l'hiverne Vaches en montagne Agneux et chevreaux
0 0 0,6

Certains regroupements de bêtes spécifiques à des dénombrements particuliers nous ont amenés à établir des coefficients comme une pondération des coefficients des bêtes en cause suivant leur proportion probable dans leur regroupement.

Ces coefficients sont systématiquement appliqués dans tous les dénombrements où du bétail apparaît. Ils permettent au moins la comparaison du volume du bétail entre dénombrements successifs. Ils se trouvent assez logiquement voisins des taux d'imposition de la gabelle du sel.

La richesse R (exprimée en unités de richesse) d’un feu possédant Nb vaches, Nb' génisses et Nb'' brebis se calcule alors ainsi :

R = Nb vaches * 5 + Nb' génisses * 3 + Nb'' brebis * 1

Cette richesse, qui permet à un feu de vivre ou de survivre, est à répartir sur l’ensemble des personnes constituant le feu soit Np personnes (majeurs et mineurs de 5 ans inclus). Arbitrairement, on ne distingue donc pas les personnes suivant leur âge même si un adulte nécessite pour vivre plus de « richesse » qu’un nouveau-né.

On défini alors un « taux de richesse individuel » par TRI = R / Np.

Cette définition du TRI conduit à une certaine instabilité du taux du fait de son dénimonateur qui est en général un nombre faible, par exemple 4 pour un couple et deux enfants. Un cas plus extême est celui d'un couple seul : il suffit qu'un des époux disparaisse pour que le TRI de la personne double tant que le bétail détenu reste le même alors que la situation a toutes les chances de conduire à terme à plus de pauvreté réelle, avec probablement un déclin du troupeau à court ou moyen terme qui réduira le TRI. Il importe alors d'analyser l'évolution du TRI pour en percevoir la signification réelle.

Les niveaux de « richesse »

Les valeurs suivantes du TRI ont été données aux limites de différents niveaux de « richesse » par Grégory Girollet à Fontcouverte (les codes sont ceux utilisés dans les graphiques pour identifier ces niveaux de richesse) :

TRI Code Etat de richesse
de 0,0 à 0,5 exclu [0, 0.5[ La misère totale
de 0,5 à 2,5 exclu [0.5, 2.5[ Le niveau misérable évitant tout juste de mourir de faim,
de 2,5 à 5,0 exclu [2.5, 5[ Les pauvres
de 5,0 à 7,5 exclu [5, 7.5[ Les « moyens pauvres » en situation de grande précarité
de 7,5 à 10.0 exclu [7.5, 10[ Le seuil de la misère et de la précarité est dépassé
de 10,0 à 15,0 exclu [10, 15[ L’aisance
15,0 et plus [15, ...[ La richesse

Encore faut-il définir plus précisément les qualificatifs utilisés en particulier celui de pauvres.

Pour l’administration fiscale du Duché un pauvre susceptible d’être exonéré de l’impôt est celui qui ne possède pas un minimum précis de « capital » et dont l’état physique ne permet pas de travailler. Dans la pratique de la vie, la définition est à nuancer et à étendre.

Nous citons ci-dessous en italique les définitions données par Grégory Girollet qui connaît bien Fontcouverte.

Les pauvres sont ceux qui n’ont rien, mais aussi ceux qui possèdent, mais pas suffisamment pour être à l’abri de la moindre situation exceptionnelle. Mais la réalité quotidienne est tout autre, et la pauvreté est largement plus étendue. Même ceux dont le coefficient est supérieur à 0 mais inférieur à 2,5 qui par conséquent possèdent déjà un bien, sont aussi misérables.

Il faut comprendre que si ces nuances sont indispensables à la compréhension de la « richesse » c’est que les pauvres constituent la majorité des habitants dans les temps anciens qui nous intéressent. En tout cas, elles correspondent bien aux descriptions de la pauvreté telle que l'ont rapportée des témoins de l'époque.

Nous avons tenté d'étalonner ces niveaux définis par le TRI grâce à la consigne du sel pour l'année 1790 où sont précisés des catégories de pauvreté perçus par les autorités administratives de la paroisse.