Fontcouverte
 

Des indices et des estimations des migrations dans le temps

Parmi les phénomènes migratoires, l'immigration amenant de nouveaux habitants à Fontcouverte ne concerne que très peu de personnes, généralement à l'occasion de mariages. Nous nous intéressons donc ici aux seules émigrations.

Les dénombrements peuvent donner une image relativement instructive des migrations à des dates précises mais peu nombreuses.

De son côté, l'analyse des registres d'état civil ne permet pas d'aborder directement les phénomènes migratoires. Par contre, elle nous donne des informations qui, indirectement et avec une étude complexe, peuvent nous fournir des indices de façon plus ou moins continue dans le temps.

D'autres documents qui pourraient nous aider n'existent pas dans les archives de la cure, pas plus probablement ailleurs pour ce qui concerne Fontcouverte et ne porteraient sans doute que sur les périodes récentes.

Bien avant nous, Malthus s'est penché sur le devenir d'une population aux ressources limitées. C'est manifestement le cas de Fontcouverte où, depuis longtemps, toutes les terres permettant la culture et l'élevage sont défrichées. Malthus recommande alors, pour conserver des conditions de vie supportables, une restriction proportionnée des naissances ou, au pire, de se résoudre à l'émigration.

Instinctivement, les Fontcouvertins ont recours aux deux méthodes. Limiter les naissances se réduit pratiquement, à l'époque qui nous intéresse où seule la nature dicte ses lois physiques et où l'Eglise régule les naissances par le mariage, à se contraindre au célibat. Il y aurait donc une liaison entre l'intensité du célibat et les difficultés économiques. Mais ces difficultés peuvent être simultanément résolues par l'émigration. Nous recherchons donc des périodes où le célibat est important et qui pourraient être synchrones de périodes d'émigration.

Quant aux émigrations elles-mêmes, leur intensité pourrait être estimée en calculant le nombre des natifs de Fontcouverte qui y seraient morts s'ils n'émigraient pas et en comparant ce nombre à celui des décès enregistrés dans les archives.

Enfin, les archives du XIXe siècle permettent une analyse plus précise en considérant le devenir de chaque natif de ce siècle au cours de sa vie.

Pour interpréter les graphiques qui suivent, il faut tenir compte du temps qui s'écoule entre les différents évènements étudiés. En première approximation nous envisageons un Foncouvertin-type de 25 ans, âge courant pour se marier et pour éventuellement émigrer. S'il reste célibataire, cet état est constaté à la date de son 50e anniversaire. Compte tenu des espérances de vie à 50 ans, son décès intervient 15 ans plus tard jusqu'au milieu du XVIIIesiècle et 20 à 30 ans plus tard par la suite.

Le célibat au cours du temps : un simple indicateur

Les archives, en particulier après le rattachement de la Savoie à la France, donnent quelques informations sur l'état matrimonial des mourants mais ces indications sont insuffisantes pour connaître l'étendue du célibat et ses variations dans le temps. Par contre, il est possible, à partir de la structuration de la population, d'estimer la proportion de la population qui ne se marie pas. Le célibat est considéré comme définitivement acquis à 50 ans (l'opportunité de se marier après cet âge est très faible).

Le graphique donne la variation de cette proportion en distinguant les femmes des hommes, sous forme de moyenne mobile sur 10 ans. Les graduations du temps sont celles de la date de constat du célibat définitif des personnes soit 50 ans après leur naissance ou 25 ans en moyenne après l'âge courant pour se marier.

Le graphique est prolongé jusqu'en 1950 pour illustrer la décroissance du célibat masculin après 1900 lorsque l'effectif des Fontcouvertins s'est fortement réduit.

Alors qu'il nait pratiquement autant de filles que de garçons, on constate que le célibat féminin est pratiquement toujours égal ou supérieur à celui des hommes. Si plus de femmes restent célibataires, on peut penser qu'il manque des hommes ce qui pourrait traduire un départ préférentiel de ces derniers, comme le montrent les dénombrements. Le graphique indiquerait alors les périodes où l'émigration masculine serait particulièrement importante.

Au milieu de fluctuations importantes, le graphique souligne :

Lors des périodes de fort déséquilibre ce serait près de 5 à 10 % de la population, soit en gros 50 à 100 femmes qui ne trouveraient pas à se marier. On ne connaît pas toutes les raisons qui pousseraient à cette particularité, raisons économiques, sociales..., mais on retrouve là des chiffres voisins de ceux des émigrés du recensement de 1734. On est donc tenté d'avancer que la période 1770 - 1760 correspondrait à une période de migration d'incidence relativement peu marquée du fait de sa faible durée tandis que la période 1835 - 1900 traduirait une tendance longue et lourde à l'émigration, surtout des hommes qui seraient âgés de 50 ans ou plus à partir de 1830.

Les naissances et les décès dans les archives d'état civil

Une approche de l'estimation des émigrations à Fontcouverte peut être envisagée à partir, principalement, des archives d'état civil, laquelle, bien que d'interprétation difficile, a l'avantage de couvrir toute notre période d'étude.

Bien qu'un peu hasardeux nous pouvons entreprendre des calculs qui ont au moins l'avantage de schématiser l'évolution des émigrations définitives dans le temps, évolution qui nous échappe la plupart du temps dans les divers documents disponibles, en particulier les dénombrements.

Comparaison des décès enregistrés à ceux calculables à partir des naissances données par les archives d'état civil

La méthode envisagée présente l'avantage de s'appuyer sur les décès et les naissances enregistrés à Fontcouverte pris indépendammant les uns des autres, ceci afin d'éviter les difficultés qu'impose le raccordement des décès aux naissances correspondantes. En effet, ce raccordement ne s'avère plutôt sûr qu'à partir de 1750 environ.

Le principe consiste à comparer les décès enregistrés dans l'état civil à ceux qui peuvent être calculés à partir des naissances connues des personnes que l'on ferait mourir suivant les lois de mortalité en fonction de l'âge que nous avons pu déterminer dans l'analyse de la mortalité. Ce serait ainsi le nombre de décès des natifs de Fontcouverte qui serait enregistré s'ils y étaient morts. Les écarts constatés entre les deux évaluations pourraient être attribués au solde migratoire c'est-à dire aux émigrations dans notre cas de Fontcouverte.

Sans rentrer ici dans les modalités exactes du calcul et ses limitations au fil du temps, le graphique évoque l'écart entre les deux déterminations en fonction du temps. La courbe supérieure en noir représente les décès calculés à partir des naissances de Fontcouverte, la courbe inférieure en gris les décès enregistrés à l'état civil sous forme de moyenne mobile sur 15 ans. Les zones grisées traduisent les écarts.

Noter que les graduation du temps correspondent aux dates de décès. Ainsi, les natifs de la seconde moitié du XIXe siècle, dont un grand nombre émigre avant de mourir jusqu'au dernier tiers du XXe siècle, ne sont pas, pour la plupart d'entre eux, pris en compte (une étude suivante tente de les traiter).

Mises à part quelques rares périodes où les deux estimations se rejoignent (dates de décès 1630, 1690 à 1710, 1740 à 1770), on doit constater que le nombre calculé des décès est toujours supérieur à celui enregistré à l'état civil (l'inverse traduirait une immigration préférentielle que l'on sait inexistante). L'émigration serait alors fréquente avec des époques particulièrement certaines vers 1640 et 1680, 1720 à 1740 et, surtout la longue période couvrant la fin du XVIIIe siècle et tout le XIXe avec son maximum vers 1850 (25 à 30 % de la population émigrerait) et sa reprise définitive à partit de 1870 avec un maximum de plus de 25 % peu avant 1900.

Compte tenu de l'âge de constat du célibat définitif (50 ans) et des espérances de vie à 50 ans variables suivant les époques (l'espérance de vie n'est qu'une moyenne statistique réduisant l'ampleur réelle des périodes des décès effectifs), la convergence avec l'analyse du célibat est assez nette à partir de 1765 (âge au décès) :

Enfin, la comparaison des recensements avec nos courbes est particulièrement difficile, ces documents traduisant un état très transitoire dans le temps et l'émigration y étant largement sous-estimée puisque le but des recensements est d'enregistrer les présents. Le taux d'émigration que l'on peut estimer par calcul en 1774, soit 8 % environ, correspondant à celui donné par le recensement de 1734 des émigrés jugés certainement définitifs (soit 8 % environ). Le taux, soit 11 %, du recensement de 1876, se situant au terme d'une longue période de forte émigration dont l'effet dans le temps est difficilement appréciable et où le volume de la population est en décroissance, est nettement inférieur à celui observé dans notre calcul (soit environ 20 %).

Malgré toutes les imprécisions possibles dans les divers calculs, on peut espérer que le graphique précédent est une image assez proche de la réalité de la migration en fonction du temps, au moins lorsque celle-ci est massive (cette affirmation est bien moins certaine pour la période antérieure à 1650, époque où les informations nous manquent concernant les naissance survenues avant 1587).

Une analyse détaillée de l'émigration au XIXe siècle

Le XIXe siècle étant reconnu comme affecté par un important phénomène d’émigration et les informations étant relativement abondantes dans les archives de cette époque, une analyse relativement précise peut être faite des départs définitifs d’une partie de la population.

La base de l’analyse est la liste de toutes les personnes nées à Fontcouverte entre 1801 et 1900 soit 3935 individus, issue de notre table des naissances.

La vie de chacune de ces personnes est analysée en s’appuyant sur tous les éléments connus, en particulier dans l’état civil donnant quelques repères distants dans le temps (mariages, naissance d’enfants et décès). La présence ou l’absence d’un Fontcouvertin à un moment donné peut être précisé par l’analyse de recensements lorsque ceux-ci sont disponibles (jusqu'en 1936) tant à Fontcouverte que dans les communes voisines vers lesquelles on sait que les émigrations peuvent être abondantes, Saint-Jean-de-Maurienne en particulier. La structuration de la population qui ordonne ces informations est une aide importante. Enfin, des indications intéressantes peuvent être obtenues dans les livres de l’état des âmes et des listes non publiées des sépultures de la cure. Cependant, si les informations nécessaires sont la plupart du temps disponibles pour les décès antérieurs à 1950, ce n'est plus le cas pour les décès suivants encore abondants pour les natifs de la fin du XIXe siècle.

On peut ainsi déterminer, suivant un principe que nous avons appliqué à chaque personne, le statut de résident si elle-ci a passé toute sa vie à Fontcouverte ou d’émigré définitif si elle a vécu un certain temps hors de Fontcouverte dans la partie finale de sa vie.

Bien que la vie des Fontcouvertins ne nous soit ainsi connue que dans une succession d’instants particuliers et non en totalité, la détermination du statut peut se faire avec une assez bonne probabilité de succès. Elle est donc très crédible sinon numériquement absolument exacte. Des améliorations pourront être envisagées avec un surcroît de travail important permettant de combler les lacunes temporelles entre les diverses phases de la vie, voire de remédier aux informations contradictoires des archives.

Du fait de l’importance de la mortalité des jeunes enfants, nous avons exclu de l'analyse les Fontcouvertins morts avant 5 ans (au-delà la mortalité devient très faible), éliminant ainsi les enfants mort-nés et ceux mourant peu après. En effet, ceux-ci ne sont pas réellement intégrés à la population de Fontcouverte et ne sont pratiquement pas soumis au risque d’émigrer (nous connaissons en fait 7 enfants considérés comme émigrés possibles dont deux sont des enfants mis en nourrice à Villarembert, suite au décès de leur mère, et où ils sont morts rapidement). L’élimination des enfants morts entre 5 et 10 ans conduit pratiquement aux mêmes résultats du fait des effectifs très réduits mis en jeu et de la faible probabilité de migrer définitivement pour des enfants si jeunes.

Simultanément, nous admettons que toutes les personnes dont on ne connait pas la date de décès ont au moins 5 ans.

L'échantillon analysé se réduit alors à 2899 individus.

Il est rappelé que le temps retrace ici les années de naissance. Pour comparaison au graphique de l'étude précédente portant sur les années de décès, un décalage d'environ 50 ans est à prendre en compte.

Le premier graphique ci-dessous donne pour l’ensemble des hommes et des femmes :

Les valeurs annuelles sont en trait fin et les moyennes mobiles sur 5 ans en trait épais.

Il apparaît ainsi une première période (de 1801 à 1835 environ) au cours de laquelle les trois phénomènes sont marqués, malgré un important déficit de naissances vers 1820, par une certaine stabilité globale. Les émigrés représentent le tiers seulement de la population.

Une seconde période, s’étendant de 1835 à 1890, est caractérisée par la baisse régulière du nombre total des naissances alors que simultanément celui des émigrés reste pratiquement constant. Corrélativement, le nombre des résidents est en décroissance régulière. Les émigrés sont en nombre approximativement équivalent à celui des résidents.

A partir de 1890, le nombre d’émigrés croît fortement. Pour une faible part, il pourrait s’agir de Fontcouvertins morts à Saint-Jean-de-Maurienne (donc considérés comme émigrés) qui en fait seraient décédés à l’hôpital alors qu’ils résident à Fontcouverte. En 1900, les émigrés impliquent les deux tiers des natifs.

Avec les conventions précédentes, les deux graphiques suivants séparent les sexes :

On retrouve les évolutions des courbes précédentes avec quelques particularités globales.

Lors de la première période de relative stabilité le nombre des résidentes reste nettement plus fort que celui les émigrées.

Dans la seconde période, si le nombre des émigrants reste voisin de celui des résidents, l’accroissement du nombre des émigrantes dans le temps permet à celles-ci de dépasser en nombre celui des résidentes à partir de 1870 environ.

La vieille tradition qui montrait la nette prédominance des émigrations masculines n’apparaît donc plus au XIXe siècle. Les raisons et les conditions ne seraient plus les mêmes. Le fort accroissement du nombre des émigrés à partir de 1890 serait cependant plus particulièrement masculin.

L’intensité des émigrations peut être encore illustrée en exprimant leur proportion dans le volume total des naissances. Le graphique regroupant hommes et femmes révèle que la pression migratoire (sous forme de taux) est relativement réduite (30 à 40 %), voire décroissante jusqu’en 1830 à une époque de déficit des naissances alors que cette pression est régulièrement croissante par la suite pour atteindre 60 % peu après 1890 et culminer à 75 % en 1900.

En distinguant femmes et hommes, il apparaît que les évolutions des taux d'émigration sont voisines pour les deux sexes. Les taux sont à prépondérance masculine jusqu’en 1860 pour devenir, par la suite, dominés par ceux des femmes qui croissent régulièrement depuis 1830 environ.

En conclusion

On doit noter l’importance de l’émigration au XIXe siècle (et probablement à la fin du XVIIIe) qui s’intensifiera au XXe siècle, en particulier suite à la Grande Guerre. Si plus de 70 % des natifs de la fin du siècle émigrent, on ne peut que s’attendre à un effondrement de la population. La différence entre les deux sexes montrerait que les raisons et les conditions ne sont plus, au XIXe siècle, celles qui intervenaient autrefois. On a affaire à une émigration massive sous des formes très diversifiées qui peuvent être perçues en côtoyant chaque Fontcouvertin lors de la détermination de son statut d’émigré.

Nous sommes bien loin de l’idée que nous nous faisons des émigrants partis seuls au loin. Il y en a bien mais, ne connaissant généralement pas leur décès, nous ignorons la plupart du temps leur but final. Il est sûr que la grande majorité de nos émigrants est simplement descendue à Saint-Jean-de-Maurienne, ou à peine plus loin (en Maurienne surtout mais aussi en Savoie, dans la région lyonnaise, dans la vallée du Rhône, en Bourgogne et bien plus rarement à Paris ou en Amérique), là où le développement économique est le plus avancé.

En tout cas, les modes de vie ont changé. Ce n'est plus le vieux père qui vit entouré de son fils et de ses petits enfants attendant l'héritage mais de vieux parents qui profitent de conditions matérielles plus favorables en venant finir leurs jours chez leurs enfants émigrés.

Que retenir de nos analyses de l'émigration ?

En l'absence de documents listant les départs des Fontcouvertins au cours du temps, l'estimation précise de la proportion que prend l'émigration est un exercice particulièrement difficile Quelques indices peuvent nous éclairer. Les calculs à partir des informations de l'état civil sont les seuls envisageables au cours des siècles. Actuellement, ils souffrent des limitation rencontrées dans les archives et la structuration de la population qui s'ensuit. Pourtant, le sujet serait d'intérêt mais nécessiterait probablement un énorme travail.