Fontcouverte
 

Les migrations des Fontcouvertins

Dans la dynamique d’une population, la migration est un phénomène démographique particulier : il est capable, simultanément, d’ajouter (immigration) et de retrancher (émigration) des membres à cette population.

Bien que significatives en volume, les migrations dans la population de Fontcouverte constituent certainement le phénomène démographique le plus difficile à aborder. En effet, nous ne disposons pas d’archives suffisantes donnant des états des migrants sur la période qui nous concerne.

Nous pouvons malgré tout nous appuyer sur un faisceau de présomptions convergentes, souvent indirectes, qui sont à rechercher dans les archives d’état civil ou dans les divers dénombrements connus et, pourquoi pas, dans les livres de la taille ou ceux de l’état des âmes et d'autres documents disponibles. Aucune statistique systématique ne peut cependant être établie.

Les divers types d’informations

Les archives d’état civil

Elles sont presque muettes sur les migrations.

Avec leurs actes de naissance/baptême et de décès/sépulture, elles peuvent donner des informations utiles au terme d'une étude éventuellement complexe.

Les actes de mariage signalent parfois des unions qui se scellent en dehors de Fontcouverte ou, au contraire, concernent des personnes étrangères à la communauté s'y mariant. Des curés évoquent ces évènements ou les laissent entendre. On note en particulier les 153 attestations fournies par le Curé Jean Baptiste Favier concernant un paroissien ou une paroissienne allant se marier dans une paroisse souvent très proche… jusqu’à Saint-Jean-de-Maurienne et rarement bien plus loin. Les noms des mariés sont alors fréquemment caractéristiques de leur origine géographique qui est même souvent mentionnée.

Dans l'attestation ci-dessus, Louis Claraz est natif de Fontcouverte mais en service à Saint-Jean depuis 6 ans. Marie Mat est originaire de Jarrier mais habite aussi Saint-Jean depuis 6 ans. On conçoit qu'ils se marient dans la Cité mais que devriendront-ils ? Louis quittera-il temporairement ou définitivement sa paroisse d'origine ? Marie est inhumée à Fontcouverte, Louis n'y a pas de décès connu !

La structuration de la population permet enfin de constater que des familles de Fontcouverte disparaissent définitivement mais sans que l’on sache où elles sont allées s’implanter.

Les maires, à la fin du XIXe siècle, sont bien plus précis mais leurs écrits ne couvrent que quelques décennies. En particulier, la pratique des mentions marginales permet de connaître les émigrants avec leurs lieux de destination.

Les dénombrements de la population

Les consignes de la population établies pour la gabelle du sel sont rédigées pour donner la simple liste des habitants présents dans la communauté à une date donnée. Au moins sait-on quelle est la population de fait (celle des personnes vivant effectivement à Fontcouverte) et, avec un peu de chance si l'on possède quelques documents identiques peu distants dans le temps, peut-on constater quand certains Fontcouvertins disparaissent des inventaires successifs. Les âges ne sont habituellement pas précisés mais la structuration de la population permet généralement de rétablir la plupart d'entre eux.

Les recensements sont plus instructifs bien que devant, en principe, ne pas mentionner les émigrants absents de la communauté. Pourtant, ils précisent parfois les âges et les destinations d'absents mentionnés. Parfois sont citées des personnes issues de Fontcouverte qui n’y habitent plus depuis longtemps en précisant leur résidence réelle. Mais ces recensements sont rares et très dispersés dans le temps.

Ci-contre le rôle de hommes susceptibles de porter les armes de 1689. Michel Collet aurait des fils portés absents. C'est important si on doit défendre la frontière du Duché ! Mais où faut-il aller les chercher en cas de mobilisation ? D'ailleurs, nous ne retrouvons que Louis qui effectivement ne semble pas avoir fini sa vie à Fontcouverte, son frère Noé étant mort à un mois... et ils n'ont pas d'armes ! En tout cas, nous savons calculer l'âge de ces hommes et, heureusement, d'autres recencements sont plus utilisables... avec un peu de mal.

Les recensements quinquennaux disponibles de l'époque française (1876 à 1933) donnent une suite assez précise de la présence des Fontcouvertins dans leur commune ou dans les communes avoisinantes, Saint-Jean-de-Maurienne en particulier. Ils sont alors une aide importante.

Où chercher des indices ?

Hormis les informations directes données par les dénombrements, d’autres peuvent être obtenues indirectement.

Si des personnes sont précisément mentionnées dans un recensement comme absentes, il est possible de déterminer les âges auxquels les émigrations ont lieu et d’estimer les durées d’absence si elles ne sont que temporaires.

Les pyramides des âges élaborées à partir des dénombrements peuvent présenter des anomalies caractéristiques de mouvements de la population. Des déficits d'effectif dans certaines tranches d'âge assez précises et n’évoluant pas dans le temps peuvent être considérés comme des indices laissés par des personnes émigrées, au moins temporairement, particulièrement les hommes.

Enfin, une trace évidente mais imprécise des émigrations peut se trouvée dans le fait que nombre de Fontcouvertins ne sont pas morts dans leur communauté (nous ne retrouvons pas leur décès). Une comparaison du nombre de décès annuels enregistrés à celui auquel on pourrait s’attendre du fait des naissances indique alors, sinon le nombre exact, du moins les époques où les déficits apparaissent, voire donne une idée globale de l’intensité des mouvements.

Il est évident que ces faisceaux de présomptions ne peuvent que donner des indications très générales sur les migrations au cours des siècles à Fontcouverte.

Les informations plus abondantes au XIXe siècle donnent enfin une vision plus précise des émigrations ayant conduit à l'effondrement de la population de Fontcouverte au XXe siècle.

Les types de migrations.

Les immigrations

Nous ne parlons que peu de ces mouvements de population dans la mesure où ils ne représentent qu’un flux très faible.

En dehors de la fin du XIXe siècle où l’on constate l’arrivée d’immigrants en quantité non négligeable, principalement des Italiens, bien rares sont ceux qui viennent le plus généralemnt de près ou, pour quelques cas particuliers, de loin. Il s’agit la plupart du temps de mouvements matrimoniaux créant plus d’émigrants que d’immigrants : Fontcouverte attire nettement moins d’« étrangers » que Saint-Jean-de-Maurienne ne soustrait de Fontcouvertins.

Les émigrations

Ce sont de loin les mouvements les plus abondants mais ils revêtent diverses formes.

Les émigrations temporaires

Les émigrations temporaires sont de durée limitée ; il s'agit de Fontcouvertins qui partent avec l’espoir de revenir plus ou moins rapidement. Les plus courtes sont de nature saisonnière mais plus ou moins lointaine. Nous ne disposons que de peu de moyens pour appréhender ces migrations annuelles de Fontcouvertins partant en hiver pour exercer un commerce ambulant ou louer leur force même si leur volume peut en être important. Ces personnes revenant à la fin du printemps continuent de faire partie de la communauté et n’apparaissent comme émigrants dans aucun document, sauf cas exceptionnels de recensements. Ces émigrations saisonnières peuvent se répéter d’années en années pour une même activité au même lieu.

Claude et Jean Baptiste [Claraz] Bonnel sont partis en 1726 faire les foins dans le Piémont. Activité a priori bien saisonnière. Mais peut-être y retourneront-ils ou même y resteront-ils ? La structuration de la population nous dit qu'ils reviendront, se marieront à Fontcouverte et Jean Baptiste y mourra. L'identification incertaine de Claude ne nous donne pas de décès.

D’autres absences, plus longues, peuvent atteindre quelques années voire plus. Ces émigrants reviennent cependant finir leurs jours à Fontcouverte. Il s'agit alors d'émigrations provisoires. Ils n’apparaissent pas toujours dans des dénombrements. Pourtant, leur incidence sur la démographie de Fontcouverte peut ne pas être négligeable en créant des lacunes dans les familles.

Les émigrations définitives

Elles concernent les Fontcouvertins qui, une fois partis, ne reviennent jamais. Ils peuvent avoir, dès leur départ, l'intention de quitter définitivement leur pays ou l'acquérir au cours de leurs voyages. Nous pouvons éventuellement en connaître le nombre approximatif mais il est rare que nous sachions leur destination finale. Nous en connaissons à Grenoble, dans la région lyonnaise, en Bourgogne et en Auvergne. Mais d’autres sont allés bien plus loin... en Amérique ou en Océanie. Attention ! Des émigrés « en Argentine » (comme on dirait « en Avignon ») ne sont allés qu’à Argentine en basse Maurienne !

En 1726, voici enfin un cas plus clair ! Gaspard Viffrey serait bien parti en Auvergne et aurait même entraîné son frère Jean Baptiste dans l'aventure. Ni l'un ni l'autre n'ont pris le temps de se marier à Fontcouverte, Gaspard l'aurait peut-être fait ailleurs. Ni l'un ni l'autre n'ont de décès à Fontcouverte. Ils sont partis et ne sont jamais revenus.

Ces émigrants définitifs peuvent être cités dans des recensements encore que, si on y trouve leur absence lointaine, rien ne prouve qu’ils ne reviendront pas mourir à Foncouverte. En effet, on note le souhait fréquent d'émigrants définitifs proches de se faire inhumer dans leur communauté d'origine. Un tel choix ne facilite pas le constat d'une émigration pourtant définitive. Ainsi, l’état civil ne peut ici, à lui seul, que nous aider en discernant parmi tous les natifs de Fontcouverte ceux qui n’y meurent pas.

Globalement

Ces distinctions dans les types d'émigration paraissent logiques. Pourtant, elles sont loin d'avoir des limites nettes. Les archives sont bien incapables de nous préciser à quelle catégorie il faut affecter un Fontcouvertain lorsque son absence est mentionnée. Parfois, nos estimations ne peuvent donc qu'être subjectives, en tout cas incertaines bien que la structuration de la population soit une aide importante.

Les migrations des Fontcouvertins dans le temps et dans l'espace

Les dénombrements donnent des informations parfois précises concernant les migrations au moment exact des dénombrements. Malheureusement, ces informations sont très peu nombreuses et dépendent largement des motivations des commanditaires de ces dénombrements. Dans tous les cas, il ne peut s'agir que d'acquérir une vision très étroite dans le domaine temporel lui-même très fluctant sous l'effet des contraintes démographiques ou économiques de l'instant.

L'évolution précise de l'émigration au cours du temps serait certainement bien plus instructive. Mais il faut admettre que cette étude est complexe et nécessite des informations que nous ne possédons pas toutes actuellement de façon suffisament élaborée. Nous abordons ici cette étude à titre indicatif mais elle mériterait d'être aprofondie ultérieurement.

Le graphique précédent montrant l'importance des mouvements migratoires à partir du XIXe siècle et les informations étant plus abondantes à cette époque, une analyse assez précise peut être faite des émigrations définitives des natifs de Fontcouverte au XIXe siècle, émigrations qui ont conduit à l'effondrement de la population de la commune à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe.

Pour quelles raisons les Fontcouvertins migrent-ils ?

Les émigrants ne nous disent rien à ce sujet dans les archives. Pourtant les motivations sont multiples. Dans une famille aux nombreux enfants, seul l'aîné vivant s'installe dans la maison de ses parents. Les cadets, filles ou garçons, peuvent trouver des occupations chez leur frère aîné, dans une autre maison de Fontcouverte ou plus loin, mais celles-ci y sont peu nombreuses ; peut-être ont-ils la chance d'épouser une héritière mais, bien souvent, ils n'ont que le choix d'aller chercher un emploi à Saint-Jean-de-Maurienne, emploi momentané qui peut devenir définitif, surtout après un mariage. Des Fontcouvertins plus dynamiques peuvent aussi avoir envie de trouver une autre vie et faire fortune loin de leur pays.

Mais le résultat le plus spectaculaire de ces mouvements est d'assurer à la paroisse, malgré la fécondité des Fontcouvertines, un volume de population remarquablement constant de 1650 à 1850, au voisinage de 1 200 - 1 300 âmes et, ce, pratiquement quelles que soient les conditions économiques. L'émigration serait donc à Fontcouverte la soupape de la population qui s'ouvrirait dès que la pression démographique dépasse celle que le terroir autorise.

Des impressions…

Résumer les informations que nous avons pu glaner dans les archives n’est pas facile. Chacun des indices n’est qu’un élément d’un puzzle dont la globalité nous échappe bien souvent.

On peut noter, à coup sûr, que les émigrations sont de loin plus nombreuses que les immigrations.

A la fin du XVIe siècle et au cours du XVIIe, les migrations nous sont pratiquement inconnues. On peut seulement penser que jusqu’en 1650, au moins, la population de Fontcouverte se reconstitue après des périodes difficiles. Les émigrations seraient-elles faibles à cette époque ? Elles ne sont cependant pas exclues.

Au XVIIIe siècle, des documents précis mais ne concernant que les hommes donnent une émigration des hommes de l’ordre de 15 % dont plus de la moitié serait des émigrants définitifs. Les recensements et les consignes du sel, plus nombreux et concernant hommes et femmes dans les années 1730, ne sont pas faits pour enregistrer les départs définitifs. Ils mentionnent des émigrations de l’ordre de 15 % pour les hommes et de 7 % pour les femmes. Mais ces déplacements ne seraient que provisoires pour les deux tiers d’entre eux, les Fontcouvertins revenant finir leurs jours dans leur paroisse. Les hommes partiraient alors entre 10 et 45 ans, les femmes entre 15 et 30 ans. Ils ne seraient d’ailleurs, dans la plupart des cas, pas allés bien loin, en Maurienne et principalement à Saint-Jean-de-Maurienne, ce qui faciliterait leur retour.

A la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe, l'émigration s’intensifie et ne s’arrête pas jusqu’à la fin de ce dernier siècle. Les émigrations deviennent abondantes et permanentes au point de déstabiliser la pyramide des âges qui, avec l'allongement de la durée de la vie, devient celle d’une population nettement vieillissante.