La composition des familles dans les maisons de Fontcouverte

En entrant dans une maison du village de Tillerèche, on aimerait savoir qui l'on va rencontrer. Une mère, son époux et leurs enfants... ce serait assez probable. Mais pourquoi pas une « vieille fille » ou un veuf vivant seuls. Plus rarement sans doute, il s'agirait d'un couple avec son fils aîné, marié lui aussi, avec sa femme et leurs enfants, tous accompagnés d'une sœur célibataire, d'un neveu orphelin et d'un valet. Et pourquoi pas une maison encore bien plus complexe... il y en a à Fontcouverte pas loin de Tillerèche !

Pour obtenir une réponse, au moins statistique, à ces questions il suffit de définir quelques grandes catégories de familles-types dans lesquelles classer tous les regroupements familiaux que nous donne un dénombrement et de compter combien chaque catégorie en contient.

Les catégories de familles

Bien que d'emploi peu aisé à Fontcouverte, nous utilison une typologie élaborée par le démographe anglais Peter Laslett et utilisée de façon classique. Elle propose 6 types dont la définition est donnée ici de façon très schématique (pour plus de détails, se reporter aux définitions exactes). Nous utilisons ici le terme consacré par Laslett de « famille » pour ce que nous appelons, de façon plus générale, un regroupement familial. Les numéros donnés à ces types sont ceux utilisés dans les graphiques suivants. Pour une compréhension simple des choses, il suffit d'avoir en mémoire la classification très simplificatrice donnée après la liste des types.

• Type 1. Ce sont les solitaires : célibataires, veufs ou veuves restés isolés.
• Type 2. Ce sont les sans familles : personnes qui vivent ensemble telles des frères et sœurs ou des cousins, des cousines tous sans leurs parents, voire des personnes sans relation familiale.
• Type 3. Ce sont les familles simples : un père et une mère (l'un d'eux peut être mort) ainsi que, éventuellement, leurs enfants célibataires.
• Type 4. Ce sont les familles élargies : familles de type 3 auxquelles s'ajoutent de vieux parents veufs, des petits enfants orphelins, des frères et des sœurs célibataires.
• Type 5. Ce sont les familles multiples : familles de type 3 dont au moins un enfant est marié et resté avec ses parents, éventuellement accompagné de ses propres enfants.
• Type 6. Ce sont les familles indéterminées : groupements de personnes dont les relations ne sont pas établies.

Les trois regroupements suivants peuvent suffire à la compréhension de ce qui suit (les familles de type 6 sont, dans notre cas, exceptionnelles et ne présentent pas d'intérêt démographique) :

• les types 1 et 2 regroupent des personnes vivant relativement isolés, en tout cas sans nette structure familiale,
• le type 3 est constitué des familles « ordinaires » : père, mère, enfants,
• les types 4 et 5 représentent les familles plus complexes que celles de type 3.

Les dénombrements donnent la liste des personnes supposées constituer une famille en en précisant le chef. Les liens de parenté des membres d'une famille (ou la fonction de personnes étrangères comme les servantes) sont souvent décrits mais pas toujours. Le mode de rédaction du secrétaire et les informations ici fondamentales que donne la structuration de la population permettent dans la quasi totalité des cas de ne pas avoir recours à la catégorie 6.

La composition des familles au cours du temps

La structure des familles est en évolution permanente du fait de la disparition des personnes âgées et de l'apparition des générations plus jeunes. Les dénombrements donnent la photographie des familles à un instant précis, photographies qui peuvent être observées successivement pour en faire un film. Nous ne présentons que quelques arrêts sur images choisis en fonction des archives disponibles et d'époques marquantes de la vie à Fontcouverte. Ce qui importe est la répartition des divers types caractérisant le mode de vie familiale et les problèmes démographiques rencontrés au cours du temps.

Pour chaque époque sont présentés la répartitions des regroupements par types des familles et celle du nombre des personnes correspondantes.

Toutes les dates étudiées autres que 1789 correspondent à des recensements que l'on peut considérer comme relativement homogènes et donc comparables. Les informations de 1789 sont issues d'une consigne du sel et risquent d'être plus difficilement comparables avec la possibilité de rassemblement de plusieurs familles dans un seul regroupement comme peut le percevoir le secrétaire. Cependant, une consigne du sel de 1759 donne des résultats assez voisins de ceux de 1789 mais avec une tendance les rapprochant des recensements antérieurs.

1561

Bien que la structuration de la population soit pratiquement inopérente à cette date, le recensement peut être exploité de façon satisfaisante grâce aux liens familiaux généralement bien précisés (les familles de type 6 restent extrêmemnt rares).

Par comparaison avec les époques qui suivent, 1561 est caractérisé par l'abondance des familles peu structurées (type 1 et 2) et par celle des familles de type 3 alors que les familles plus complexes (types 4 et 5) sont rares et ne représentent que 7 % des familles et 12 % des personnes. Les Fontcouvertins vivraient de façon très dispersée dans de petites familles.

Ce serait là, probablement, l'effet de la déstructuration de la population au XVI^e siècle que l'on connaît par ailleurs.

1716

Les archives nous imposent un saut d'un siècle et demi à une époque où la population de Fontcouverte s'est fortement accrue et atteindrait un certain équilibre.

Les familles d'isolés ou relativement isolés (types 1 et 2) régressent fortement en nombre et en personnes. Inversement, les familles de structure complexe (types 4 et 5) prennent une part importante (22 % des familles et 34 % des personnes). Entre les deux extrêmes, la proportion des familles de type 3 se trouve quelque peu réduite par rapport à 1561.

On trouve ainsi une répartition équilibrée qui tend à devenir la norme. Les familles de type 5 (dans lesquelles cohabitent plusieurs générations de couples) est un signe de l'accroissement de la population et des habitudes de cohabitation que cet accroissement induit.

1734

20 ans seulement après 1716, les évolutions sont minimes.

Elles ne portent que sur la poursuite de l'accroissement des familles complexes de type 5.

Les familles de type 3 ne représentent plus que 60 % des familles et 57 % des personnes.

1789

Encore un demi siècle plus tard, une évolution nette apparaitrait, du moins par son intensité, qui affecte principalement les familles complexes de type 5. Ces familles représentent à cette date 29 % des familles mais surtout 41  des personnes.

Simultanément, le type 3 ne représente plus que la moitié des familles et nettement moins que la moitié des personnes.

Ces résultats étonnants résultent peut-être, pour partie, du fait que nous avons affaire à une consigne du sel rédigée par le notaire de l'époque. Aurait-il rassemblé dans un même regroupement des familles apparentées vivant dans des maisons voisines ? Le nombre réduit des familles peut en être un indice. A défaut des nombres exacts, la tendance paraît cependant très probable comme la consigne de 1759, faite 30 ans plus tôt, le laisserait présentir.

Tout se passerait donc, si l'on peut faire confiance à la consigne du sel, comme si les familles complexes étaient nombreuses et surtout volumineuses au point de produire une répartition des familles quelque peu anormale à une période où le volume de la population de Fontcouverte atteint probablement 1 300 âmes.

Il s'agirait là, d'ailleurs, de l'époque où le célibat, encore faible, commence à s'accroitre très rapidement ainsi que, probablement, les émigrations s'intensifier.

Fontcouverte se trouverait à un tournant démographique après avoir atteint la limite des ses possibilités de ressources de l'époque.

1876

Un demi siècle plus tard, le premier recensement français que nous traitons, montre une nouvelle situation où la population manifeste, de nouveau, des signes d'éclatement.

Les familles d'isolés (ou presque) des types 1 et 2 ainsi que les personnes correspondantes sont en nombre croissant. A l'évidence, les regroupements de personnes vivant isolées et surtout en petites communautés sont en nette expansion.

Par contre, les familles complexes de types 4 et 5 régressent fortement. Les familles où se supperposent plusieurs générations mariées (type 5) sont les plus affectées dans leur nombre et encore plus pour les personnes concernées.

Les familles de type 3 se maintiennent en nombre (50 % environ en nombre et en volume d'habitants) à des valeurs qu'on pourrait considérer comme normales.

Le célibat et les émigrations massifs au cours du XIX^e siècle auraient bien été suivis d'efficacité démographique.

1896

En 20 ans de plus, l'évolution des familles n'est pas fondamentale d'un point de vue qualitatif.

Cependant, les marques d'une population vieillissante commencent à se manifester. Les familles de type 3 ne représentent plus la moitié de l'ensemble en nombre de familles et encore moins en ce qui concerne les personnes.

En même temps, les familles complexes reprennent de l'importance ; les personnes âgées plus nombreuses s'y retrouvent certainement, en particulier dans les familles de type 4 abritant des veuf et des célibataires plus ou moins âgés.

Une impression générale

Le tableau donnant simplement le nombre moyen de personne par familles dans la globalité de la population de Fontcouverte résume à lieu seul les évolutions constatées ci-dessus.

* le nombre de familles pourrait être sous estimé.
** le nombre de personnes par familles serait alors surestimé (valeur possible voisine de 4,7).

Les démographes ont beaucoup débattu au sujet de la répartition par taille des différents regroupements familiaux d'une population, en particulier dans le monde rural où des structures complexes sont souvent constatées.

A Fontcouverte, on peut noter que la famille de base la plus représentative est celle de type 3 de taille généralement réduite. La tendance serait donc au « chacun chez soi » et non à l'entassement des générations comme dans les familles dites patriarcales. L'exiguïté des maisons réparties dans de nombreux villages en est certainement, pour partie, la cause.

Ce fait n'exclut pas les familles de type 5 où trois générations cohabitent. Il s'agit là d'un cas généralement simple où le fils aîné vivant, marié, cohabite avec ses parents dans l'attente de l'héritage. Eventuellement, des frères et sœurs de l'héritier restent avec lui du moins tant qu'ils sont célibataires ce qui peut durer assez longtemps.

En exemple de familles typiquement patriarcales, on peut seulement citer à Fontcouverte, en 1789, une famille de Pierre Pain constituée d'un veuf, quatre de ses fils mariés (deux frères aînés dont un notaire sont consignés séparement au Villard et au Village de l'Eglise) et tous leurs enfants, complétée d'une servante : 23 personnes en tout ! Il s'agit d'une famille réputée aisée, sans doute pourvue d'une grande maison... à moins que le secrétaire ait fait ici un regroupement de maisons très voisines propriétés du seul patriarche !