Fontcouverte
 

Une évolution de la fécondité naturelle vers une fécondité contrôlée ?

Pour de nombreuses raisons, la fécondité des Fontcouvertines pourrait évoluer dans le temps.

La fécondité naturelle, observée en l'absence de toute action volontaire des couples, peut fluctuer en fonction des conditions environnementales. Une longue période de difficultés économiques peut la réduire en diminuant la fécondabilité pour des raisons physiologiques, voire la fécondité pour des raisons personnelles, matérielles... Des conditions sanitaires reduisant l'espérance de vie risquent de faire disparaître des mères avant la fin de leur vie reproductive. Même des contraintes légales concernant les âges de mariage interviennent dans la fécondité des jeunes mères. Des conditions démographiques peuvent conduire à l'accroissement de la proportion des Fontcouvertines restant célibataires et réduire d'autant la fécondité générale.

L'évolution des idées et des mœurs induisent des limitations à la fécondité naturelle si se fait jour une volonté de limiter les naissance conduisant à une fécondité contrôlée. Ce phénomène, appelé transition démographique, serait connu en France dès le début du XIXe siècle.

La fécondité naturelle peut subir des variations dans le temps sous des causes diverses dont les conséquences sont plus ou moins rapides. Elles sont difficiles à mettre en évidence et à expliquer à Fontcouverte. Par contre, on peut espérer observer l'effet d'une limitation volontaire des naissances qui serait une tendance plus lourde et plus durable. Nous tentons cette étude sous différents aspects en gardant à l'esprit les difficultés, les limites, les doutes concernant nos tentatives d'interprétation.

Une vision globale

En 1973, Ansley Coale a proposé un indice Ig permettant de comparer globalement la fécondité d'une population à celle d'une autre. Il a retenu comme population de référence la population huttérite d'Amérique du nord du début du XXe siècle, population ne pratiquant pas de limitation des naissances mais jouissant de conditions de vie bien supérieures à celles de Fontcouverte aux époques qui nous intéressent. Nous retenons alors une référence plus objective constituée de la population même de Fontcouverte qui montre, entre 1650 et 1850, une stabilité de la fécondité dans le temps et est supposée, avec toute vraisemblance, pratiquer une fécondité naturelle. Notre indice Ig* permet ainsi de calculer l'évolution de la fécondité à Fontcouverte au cours du temps par rapport à elle-même.

L'analyse porte sur les seules familles dont on peut penser avec une très forte probabilité que les couples ont eu à Fontcouverte tout le temps couvrant leur période reproductive et que tous leurs enfants y sont nés (familles dites complètes).

Le graphique confirme la stabilité de la fécondité fontcouvertine entre 1650 et 1850. On note seulement une baisse apparente dans la période 1775 - 1800 : il s'agit, en fait, du manque d'archives concernant en particulier les naissances pendant la période révolutionnaire française lors du départ en exil du Curé Roulet.

Entre 1600 et 1650, la fécondité est supérieure à la moyenne 1650 - 1850. Il s'agit d'une période pendant laquelle les archives sont imparfaites et la population de Fontcouverte est en cours de restauration après la période, semble-t-il assez calamiteuse, du XVIe siècle.

Entre 1850 et 1900, au contraire, il apparaît une nette décroissance de la fécondité. Si l'on peut admettre qu'à cette époque les Fontcouvertines ont encore gardé l'habitude d'accoucher chez elles, on peut penser qu'apparaissent les premiers signes d'une certaine pratique de limitation des naissances, plus marquée après 1875. A en croire le seuil donné par Coale (soit 0,77 d'après notre référence foncouvertine) en dessous duquel la limitation serait pratiquement certaine, l'indice Ig* lui resterait encore nettement supérieur. Seule une faible partie des couples pourrait être adepte de telles méthodes.

L'anomalie de la première moitié du XVIIe siècle, si elle est significative, pourrait donc avoir une origine de nature démographique. La chute de Ig* après 1850 imputable, a priori, à l'effet d'une tendance à la limitation des naissances mérite, de son côté, une confirmation.

Les démographes estiment que cette limitation peut se manifester sous trois formes :

Ces trois points sont difficiles à examiner de façon certaine dans la mesure où ils interviennent sur une période très courte, 25 ou 30 ans au plus, à la fin du temps que nous étudions. Ils sont testés séparément.

Retardement des premières naissances

Une première façon pour les Fontcouvertines de retarder la naissance de leur premier enfant serait de différer leur mariage. Un graphique de l'âge moyen annuel de premier mariage et de sa moyenne mobile montre qu'il n'en est rien pour la période 1875 - 1900.

Un autre moyen consisterait à différer la première naissance après le mariage. Une telle pratique peut être observée par l'analyse chronologique des intervalles protogénésiques entre mariage et première naissance.

L'étude porte sur toutes les femmes mariées en ne considérant que les premiers mariages et en éliminant les femmes dont la première naissance survient avant le huitième mois suivant le mariage. Ces limitations ont pour but de s'affranchir des mariages différés après une naissance ainsi que de la plupart des conceptions prénuptiales.

Sous les conditions ainsi retenues, le graphique suivant donne les variations de l'intervalle protogénésique annuel moyen et sa moyenne mobile sur 10 ans en fonction des dates de mariage.

On constate une certaine évolution significative entre la période 1875 - 1900 et la période antérieure dans le sens d'une réduction d'environ 6 à 8 mois des intervalles protogénésiques ce qui est en conformité avec l'analyse de la fécondité par âge au cours du temps concernant plus particulièrement les jeunes mères de moins de 25 ans.

Manifestement, les jeunes Fontcouvertines n'auraient donc aucune tendance à abaisser leur fécondité globale par le retardement de leur mariage ou de celui de leur première grossesse alors que deux années gagnées diminueraient automatiquement, toutes choses égales par ailleurs, d'un enfant la taille de leur famille. C'est plutôt le contraire qui se manifeste.

Espacement des naissances

La mise en evidence de cette pratique est rendue difficile dans la mesure où le temps d'étude de la période qui nous intéresse (1850 voire 1875 à 1900) est extrêmement courte pour la comparer à la période antérieure que nous connaissons relativement bien (1700 - 1850). Par ailleurs, la période récente est marquée par un nombre importants d'émigrants qui peuvent partir alors que leur famille est en cours de formation (nous ne connaissons souvent que leur dates de mariage et de décès par les mentions marginales des archives d'état civil). Ce point d'incertitude de notre structuration de la population méritera un approfondissement pour améliorer la liste des familles dont on connait toute la vie reproductive (familles dites complètes par les démographes). Nous n'excluons que les familles certainement incomplètes, conservant les familles indéterminées dont une proportion très probablement importante correspond à des familles complètes.

Par ailleurs, l'étude est rendue complexe dans la mesure où un arrêt anticipé des naissances pourrait interfèrer avec l'espacement des naissances.

Elle porte sur les femmes mariées à Fontcouverte ou ailleurs, dont l'âge est calculable, ayant au moins deux enfants et en se référant aux dates de mariage. Seules les familles de moins de 11 enfants peuvent être traitées dans la mesure où, aux periodes récentes, les familles plus volumineuses sont extrêmement rares.

L'analyse repose sur la comparaison des intervalles intergénésiques observés :

Elle ne peut se faire facilement qu'en se rapportant à des moyennes dont on connaît la piètre représentativité de la réalité des intervalles intergénésiques et dont nous devons nous contenter. L'analyse est réalisée en fonction de la taille des familles et en fonction du rang  des naissances ; elle porte sur les écarts, exprimés en mois, observés par rapport à la période 1587 - 1850 de fécondité naturelle. Un écart positif traduit un allongement des intervalles entre naissances par rapport à ceux de la période de référence.

De façon très globale, l'intervalle moyen de la période 1851 - 1875 serait de 0,4 mois inférieur à la référence et supérieur de 1 mois pour ceux de la période 1876 -1900. Ces écarts sont très faibles et probablement peu significatifs.

Les deux graphiques suivants montrent la difficulté d'interprétation des écarts constatés du fait de la taille très réduite des deux échantillons analysés. On peut seulement espérer que leurs caractéristiques statistiques voisines peuvent permettre une comparaison approximative.

En fonction de la taille des familles, le seul point marquant apparaît dans les familles peu nombreuses de moins de 3 enfants c'est à dire pour les écarts des intervalles de rang 1 et 2. Les écarts élevés de la période 1876 - 1900 s'opposent à ceux très faibles de la période précédente. Serait-ce la trace du fait que les familles qui doivent rester peu volumineuses subissent l'effet d'une limitation des naissances dès le début de leur constitution ?

En fonction du rang des intervalles, le manque d'homogénéité des résultats permettrait seulement de noter la différence des deux périodes pour les rangs supérieurs à 6.

L'interprétation de ces constatations d'apparence éventuellement contradictoire pourrait conduire à penser que seule une part des Fontcouvertines deviennent adeptes de la limitation des naissances, les autres, sans doute majoritaires, poursuivant, au moins à peu près, l'ancienne tradition de la fécondité naturelle.

En guise de conclusion et avec une certitude très relative, l'espacement des naissances n'aurait qu'une influence très faible, si il existe réellement, sur la limitation des naissances jusqu'en 1900. Il se manifesterait principalement dans la répartitions des accouchements (et serait plutôt l'effet d'un arrêt anticipé des naissances). Cette influence très réduite ou inexistante est en conformité avec les constatations des démographes. On peut cependant affirmer que recours peu probable à un espacement des naissances n'apparaît pas avant 1875 environ.

Arrêt anticipé des naissances

L'observation d'un arrêt volontaire des naissances avant la fin de la vie reproductive d'une femme ne peut être faite que dans les familles complètes en recherchant les âges des mères à la naissance de leur dernier enfant. Cet âge peut être très aléatoire : une partie seulement des couples pratique cette limitation, des enfants tardifs peuvent survenir parmi ces couples. Enfin, la date tardive de ce nouveau comportement réduit fortement la tailles des échantillons traitables.

Un premier graphique donne, en fonction de la date mariage des mères et en bleu foncé, l'âge des mères des familles répurées complètes à leur dernier accouchement. On superpose, en bleu clair, les mêmes valeurs pour l'ensemble des familles complètes et indéterminées. La grande dispersion des valeurs obtenues est évidente et très disymétrique : les âges faibles ne sont limités que par la faible fécondité des très jeunes mères potentielles, les âges élevés étant plus strictement limités par la ménopause. On peut noter que cet âge se situe majoritairement entre 38 et 48 ans mais, peut-être seulement entre 38 et 43 ans à partir de 1875 environ tant pour les familles complètes que pour l'ensemble des familles complètes et indéterminées.

Peut-on tirer quelques informations supplémentaires cachées dans cette grande dispersion ? La réponse est heureusement oui.

De façon à réduire le trouble de la dispersion, un second graphique donne la moyenne mobile sur 20 ans des valeurs précédentes. Il manifeste les points suivants :

Après un long temps pendant lequel les deux courbes restent très voisines, la période qui nous intéresse particulièrement, le XIXesiècle, révèle une nette différence que l'on retrouve dans l'indice Ig' (voir graphique plus haut au chapitre « Une vision globale »). Cette différence est probablement due à la forte émigration de cette époque pouvant affecer les familles indéterminées et nous privant de naissances à des âges des mères relativement élevés (la même cause pourrait-elle alors intervenir vers 1730 et 1780 - 1800 ?)

Une difficulté apparaît dans le graphique précédent. La période pendant laquelle la limitation des naissances pourrait se manifester est particulièrement courte en particulier en comparaison de l'intervalle de calcul de la moyenne mobile qu'on ne peut réduire efficacement. Par ailleurs, il s'agit d'une moyenne noyant toutes les tranches d'âge des mères.

L'analyse est alors reprise, compte tenu des résultats précédents, en répartissant les mères par tranches d'âge au dernier enfant et en distinguant trois périodes d'apparition possible d'une limitation :

Pour ces trois périodes et pour des tranches d'âge des mère de 5 ans entre 20 et 50 ans, il est calculé la proportion des mères arrêtant leur procréation.

Bien que les effectifs soumis à l'analyse soient très réduits, le graphique suivant donne une représentation claire du phénomène. On compare pour chaque tranche d'âge la proportion des mères dans les trois périodes, la première pouvant pratiquement servir de référence de la fécondité naturelle dans la première moitiée du XIXe siècle.

Une analyse plus fine permet de préciser la proportion des mères pratiquant l'arrêt volontaire de leur procréation et l'âge à partir duquel elles le font. On peut estimer que l'apparition du phénomène se situe, pour des femmes mariées vers 1850, dans une très faible proportion, celle-ci croissant dans le temps pour atteindre 25 % environ parmi les femmes mariées au cours du dernier quart du XIXe siècle (cette proportion est une moyenne mais est certainement croissante de 1875 à 1900). A cette époque, l'ensemble des mères fontcouvertines réduiraient en moyenne leur nombre d'enfants d'un peu moins de un, valeur encore faible en attendant l'abaissement de l'âge d'arrêt des générations à venir.

La transition démographique à Fontcouverte

Savoir si et quand les Fontcouvertins ont commencé à pratiquer une limitation des naissances n'est pas une affaire aisée car elle semblerait intervenir bien tard dans notre domaine temporel d'étude (quelques décennies seulement).

Pourtant, un début de limitation est bien là à Fontcouverte !

Parmi les trois possibilités offertes pour tenter une certaine limitation il apparaît clairement que les Fontcouvertins n'utilisent que la troisième : arrêter les naissances à un certain âge de la mère (ou peut-être à un certain nombre d'enfants), méthode mise en œuvre par un nombre réduit de couples à partir de 1850 mais par un nombre nettement plus significatif dès 1875 (25 % des couples environ). Ce nouveau comportement conduit à la très forte réduction du nombre des familles ayant plus de 8 naissances.

Ces constatations sont conformes à celle publiées dans la bibliographie donnant la troisième méthode comme étant celle appliquée dans un premier stade de limitation des naissances.

Quoiqu'il en soit, ce nouveau comportement apparaît très tard à Fontcouverte, plus tard que dans d'autres régions moins rurales et moins isolées... certains auteurs le feraient remonter à la Révolution française dont les échos ont été relativement faibles à Fontcouverte dans bien des domaines !