Fontcouverte
 

Les épisodes de surmortalité à Fontcouverte

La prophilaxie de l'enfumeur !
Les grands fléaux sociaux qu’ont été les épidémies jusqu’au XVIIe siècle ont très fortement marqué les esprits de l’époque et le font encore actuellement. Les documents anciens en traitent effectivement d’abondance, citant les grandes peurs qu’elles engendraient mais aussi les actions qui pouvaient être entreprises pour les enrayer avec les connaissances et les moyens dont on disposait à l’époque. Le Curé Anselme Pasquier a résumé en 1861 ce qui l’avait marqué dans les archives de sa cure concernant l’épidémie de 1630 - 1632.

De tels documents ont été repris à notre époque pour connaître objectivement l’impact de ces catastrophes et d’en mieux déterminer les origines et les conditions. De nombreuses causes ont pu être invoquées pour comprendre comment un microbe peut tuer des millions d’Européens : état sanitaire déplorable de la population aux normes actuelles, état nutritionnel insuffisant, conditions climatiques éprouvantes, contamination par les mouvements des personnes et particulièrement celles des troupes militaires… et, surtout, prophylaxie très insuffisante, encore que l'on soit admiratif en constatant que les Comités de santé avaient compris ce qu'est une maladie contagieuse et comment la traiter par isolement dès le XVIe siècle.

Mais on meurt également pour bien d’autres raisons : maladies contagieuses autres que la peste, disettes récurrentes suite à des périodes climatiques défavorables aux récoltes...

Nous n’échappons pas à cette curiosité ayant cependant bien à l’esprit que nos travaux portent sur un espace très étroit. Aussi sommes-nous très démunis au sujet des causes exactes à invoquer pour Fontcouverte.

Si l’on imagine facilement que l’état sanitaire n’est pas favorable à l'époque ancienne dans les montagnes de Savoie, mis à part le bon air à respirer, les ressources alimentaires variables dans le temps nous sont mal connues. Le prix du blé ou du seigle à Saint-Jean aurait pu nous renseigner mais il nous est très mal connu contrairement à certaines régions françaises sans aucun rapport avec le pays des Arves.

Quant au climat justifiant certaines maladies et surtout certaines disettes, il nous est généralement connu de façon insuffisamment précise en dehors de quelques récits ponctuels de l’époque. Les études climatologiques qui ont pu être faites le sont toujours à grande échelle et concernent la France, la Suisse, parfois l’Italie du nord. Mais comment savoir où s’arrêtait la pluie qui venait de l’océan ou le froid déboulant du Pôle nord ? La Savoie ne faisant pas partie de la France pendant la période qui nous intéresse, aucune étude locale précise ne nous est parvenue.

L’analyse des avancées et des reculs des glaciers de la région de Chamonix et de la Suisse donne quelques indications sur les variations lentes du climat. E. Leroy Ladurie donne le retrait de la Mer de Glace ci-contre traduisant le réchauffement climatique depuis 1850 environ (déjà !). Mais quel a été l’impact du « petit âge glaciaire » qui a couvert l’Europe entre 1530 et 1850, avec ses oscillations de moins froid ou de plus chaud, sur les récoltes des versants cultivés de Fontcouverte ?

Un récit tardif du Curé Jean Pierre Didier relate bien, dans une rédaction dramatique, divers orages survenus dans l'été 1741, l'un touchant la Rochette, ravageant Jarrier et catastrophique à Saint-Jean-de-Maurienne, un autre accablant les récoltes de Saint-Sorlin, Saint-Jean-d'Arves, Villarembert, Albiez-le-Jeune et touchant Albiez-le-Vieux sans que soient mentionnés Jarrier et Saint-Pancrace… comme quoi les orages dévastateurs sont bien locaux et difficilement identifiables dans la meilleure des bibliographies.

Les mouvements de troupes n’ont pas manqué en Maurienne, ni même à Fontcouverte, et nous en connaissons plusieurs assez précisément, toujours avec le Curé Jean Pierre Didier. En 1742, les troupes espagnoles passent à Fontcouverte sans cependant qu'on puisse affirmer à quel point elles sont à l’origine de contagions, de dévastations des récoltes et d’appauvrissement du fait des lourdes réquisitions citées cependant dès 1740 lors de l’occupation étrangère très mal ressentie dans la région. On évoque aussi le passage assez dévastateur des troupes de Lesdiguières en 1597.

Les informations que nous utilisons proviennent :

Ici, plutôt que justifier ces épisodes de surmortalité par des évènements particuliers, nous nous contentons d’en faire un inventaire aussi exhaustif que possible depuis 1587 à partir de nos informations du seul état civil.

Une définition parmi d’autres

Pour nous, un épisode de surmortalité est caractérisé par un nombre de décès anormalement important pendant une durée généralement faible (1 à quelques mois, voire un an) et bien délimitée dans le temps. Cette définition laisse peu de place aux périodes où le nombre de morts par unité de temps est considéré comme peu au-dessus de la moyenne courante.

De cette définition risquent d'être exclues, en particulier, les périodes de longues disettes dont les conséquences démographiques sont de portée plus ou moins diffuse, étendue et différée dans le temps.

Enfin, la définition ne retient pas la cause : une avalanche tuant de nombreuses personnes ou une disette affectant la population sont au rang des épisodes de surmortalité au même titre que les épidémies d’origine microbienne.

Détection des périodes de surmortalité

Divers méthodes de calcul d'une surmortalité momentanée ont été proposées depuis 1960. Généralement, elles consistent à déterminer le rapport entre le nombre des décès constatés pendant une période donnée et le nombre correspondant auquel on pourrait s'attendre en l'absence d'anomalie. Ces indices se réfèrent toujours à une période annuelle, le plus couramment l'année civile : on court alors le risque de répartir sur deux années civiles différentes la mortalité importante des nombreuses épidémies hivernales à cheval sur deux ans en décembre et janvier et de ne pas caractériser la période critique. Il a été également proposé de se rattacher à une « année de récolte » du 1er août au 31 juillet suivant de façon à mieux isoler l'effet d'une ou plusieurs campagnes de récolte plus ou moins déficitaires.

Dans les deux cas, on n'échappe pas à une estimation se référant à une période de temps imposée a priori dont l'amplitude peut avoir des conséquences sur le seuil de détection de la surmortalité.

Afin d'éliminer cette référence à une période prédéfinie d'observation, nous nous sommes fondés sur la seule information des décès survenus, chacun étant considéré séparément quel que soit sa date de survenue dans l'année ou dans le long terme.

Le principe du calcul de détection des périodes de surmortalité est résumé simplement ici :

Evolution de Ns entre 1626 et 1656

Ordinairement, Ns ne dépasse guère la valeur de 0,1 (occasionnellement 0,2) mais peut atteindre, exceptionnellement, des valeurs 6 à 8 fois supérieures en période de très forte surmortalité.

Il est ainsi possible de définir les périodes où Ns dépasse une certaine valeur, périodes définies avec un début et une fin, sans a priori de durée ni de date, et que l’on considère alors comme des épisodes de surmortalité. La hauteur d’un pic ne représente pas le nombre des décès de l'épisode mais l'intensité de la mortalité. Le nombre de décès liés à l’épisode peut cependant être suggéré par la surface du pic et estimé à partir des registres d’actes de décès en soustrayant au nombre total des décès pendant l'épisode celui auquel on doit s'attendre en moyenne pour la même période sans surmortalité.

Finalement, pour nous, un épisode de surmortalité est caractérisé principalement par les dates de son début et de sa fin ainsi que par le nombre probable de victimes. Le graphique ci-dessous donne les résultats des calculs de l'intensité de la mortalité sur la période 1587 - 1900.

Evolution de Ns au cours des siècles (utiliser l'ascenseur horizontal pour faire défiler le temps).

Il apparaît ainsi à Fontcouverte une vingtaine d’épisodes de surmortalité caractérisés dont le pic atteint ou dépasse 0,2 décès journalier.

Les épisodes les plus marquants

On a retenu dix épisodes dont les valeurs de Ns sont supérieures ou égales à 0,3 et le nombre estimé de victimes supérieur à 20. Les principales caractéristiques sont résumées dans le tableau suivant. Les trois premiers épisodes (1587 - 1588, 1598 et 1630 - 1631) sont attribués à la peste par les écrits de l’époque.

Date Début
d'épisode
Fin
d'épisode
Pic
instantané
Pic
moyen
Date
du pic
Nb décès
totaux
Nb décès
naturels
Nb décès
épidémiques
Taux de
surmortalité
1587
1588
mi août fin fév. 0,76 0,47 mi nov. 41 11 30 2,7
1598 mi fév. fin déc. ?


68 18 50 2,8
Pic 1

0,33 0,12 déb. mars



Pic 2

0,55 0,28 déb. août



Pic 3

0,38 0,31 mi déc.



1630
1631
mi juil. déb. mars 1,08 0,70 déb. oct. 83 19 64 3,4
1639 mi août déb. dec. 0,80 0,42 déb. oct. 32 11 21 1,9
1653 mi juil. mi sept. 1,66 0,87 mi août. 70 10 60 10,0
1660








Pic 1 déb. mars déb juil. 0,42 0,15 mi avril 17 14 ? 3 ? 0,2 ?
Pic 2 déb. juil. déb. déc. 0,70 0,38 mi nov. 40 20 20 1,0
1669 déb. août fin déc. 1,32 0,69 déb. sept. 62 18 44 2,4
1691 déb. sept. fin déc. 0,86 0,33 mi oct. 37 16 21 1,3
1722 deb. juil. fin oct. 0,81 0,42 fin août 43 12 31 2,6
1743 mi août. fin déc. 0,61 0,38 déb. nov. 42 16 26 1,6

Légende

XVe et XVIe siècles

Cette époque n'appartient que partiellement à notre période d'étude qui débute, au mieux en 1561.

Le Curé Jean Baptiste Dufour mentionne des épidémies de peste à Fontcouverte en 1560, 1566, 1587, 1598 et 1599 sans en préciser l'ampleur. D'autres documents citent également 1564 - 1565, 1576 - 1577 sans mentionner s'il s'agit d'épidémies savoyardes ou locales.

Dans son « Histoire de la Maurienne » Tome II chapitre XVII, A. Gros décrit les épisodes de peste de ce temps. Il signale en particulier :

Dans les dernières décennies du XVIe siècle peu d'années échappent donc à la peste. Peut-être tient-on là l'une des explications du volume relativement faible de la population de Fontcouverte jusqu'au début du XVIIe siècle. Le nombre réduit d'épidémies de ce dernier siècle, des conditions de vie meilleures et le dynamisme des Fontcouvertines permettent alors un accroissement rapide de la population.

Les épisodes postérieurs à 1586 sont clairement identifiés par le test numérique.

1587

L’épidémie commencerait début septembre et se terminerait en janvier 1588. Un pic unique mais bien marqué apparaît à la mi-novembre. Les dates coïncident bien avec celles de A. Gros.

Nous estimons le nombre de victimes à 30 environ.

Nous n’avons pas d’autres informations sur cet épisode hormis le fait qu’il s’agit bien de la peste.

1598-1599

L’épisode de 1598 est remarquable par sa durée (9 mois ou plus) et ses 3 pics successifs. Il faut cependant noter que le dernier pic et la poursuite de l'épidémie sont mal définis du fait de l’absence complète (en particulier en 1599) ou partielle des archives de décès de janvier 1597 à janvier 1603. La descente rapide de l’indice en 1599 pourrait n'être qu’un artefact, le troisième pic ayant pu se poursuivre durant le début de l’année 1599. Nous situons le début de l’épisode global à mi-mars 1598. Le premier pic, d’amplitude réduite, est atteint en avril, le second, nettement plus marqué, en début août. Le troisième serait intervenu au plus tôt en fin décembre. A. Gros signale que l'épidémie se poursuit jusqu'à la fin 1600.

Pour la seule année exploitable 1598, nous considérons le nombre de morts de l'épisode à 50 environ.

A en croire A. Gros, le premier pic n’aurait pas marqué les esprits tandis que le second ne l’a fait qu’à son maximum en tant qu'occurence de peste. En fait, cet épisode se situe juste après le passage et l'occupation par les troupes dauphinoises de Lesdiguières du 23 juin 1597 au début de l'hiver. Le premier pic pourrait correspondrait aux exactions militaires puis à celles des brigands avec tous les méfaits que les textes de l'époque ont relatés tandis que les deux autres seraient principalement pesteux.

Peut-on encore accuser les troupes du connétable de Lesdiguières d'avoir importé la peste à Fontcouverte ? Plus de trois mois séparent le retrait de ses troupes et le début du premier pic alors que la propagation et l'incubation de la peste sont particulièrement rapides. Les responsables ne seraient-ils pas plutôt les vagabonds et brigants qui suivent les troupes ?

Le XVIe siècle a donc été marqué par de nombreux épisodes de peste. C'est sans doute plus leur répétition incessante que leur violence qui aurait eu un impact significatif sur le volume de la population de la paroisse.

XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles

Aucune épidémie n'est mentionnée à Fontcouverte au XVIIe siècle jusqu'en 1630.

1630-1632

Une étude très détaillée de cet épisode a été entreprise concernant Fontcouverte mais aussi la globalité de la Maurienne.

Dans son chapitre XVII, A. Gros développe particulièrement l’épisode de 1630 précisant que l’épidémie n’avait jamais été aussi violente, meurtrière et généralisée en Maurienne avec, d’après une statistique tardive et très approximative du Cardinal Billiet, une moyenne dans le diocès de 83 morts pour 1000 habitants, épidémie obligeant Louis XIII et son « Premier Ministre » le cardinal de Richelieu, de passage avec les troupes françaises pour le Piémont, à camper en juillet dans les champs d’Argentine parce que « tout était plein de peste ». Preuve de l’intensité du mal, le curé de la paroisse Saint-Christophe de Saint-Jean-de-Maurienne n’a pu enregistrer tous les morts ne connaissant pas le nom de tous les décédés.

A. Gros donne, pour Fontcouverte, les informations suivantes (issues des archives de la cure de Fontcouverte. Voir A. Gros Histoire de la Maurienne tome II pages 182 à 185 pour une transcription assez détaillée).

Décès de Pierre Claraz relaté par Jacques Chaudet

Jacques Chaudet, le secrétaire commis pour la santé, rédige un registre relevant jour par jour l’histoire de l’épidémie. Le journal s’ouvre le 14 août 1630 avec la mort du fils [Pierre] du notaire Louis Claraz Bonnel ; ce dernier est séquestré, avec sa famille, dans une cabane près de la fontaine de Pierrefiche, cabane reconstruite au Rafour pour éviter une éventuelle contamination des personnes venant s’approvisionner en eau à la fontaine.

Le 18 août, le commissaire de santé de Saint-Jean-de-Maurienne demande l’élection de nouveaux syndics (les précédents ayant eu des contacts avec des séquestrés) et la nomination d’un commissaire de santé pour visiter les malades et informer les syndics. Ainsi, Collomban Boisson visite 56 cadavres entre le 14 août et le 6 septembre 1630 (sans que l'on connaisse le nombre exact de morts pesteuses).

Au village des Rossières, Maître Jacques Chaudet qui s’y était rendu est séquestré avec toute la population du village. A l’Alpettaz, la famille de Jean Boisson est suspecte de contagion. Elle est conduite aux cabanes du Rafour où elle reste du 15 au 27 novembre. Le 6 décembre, tous les habitants du village des Anselmes sont séquestrés.

Du 20 novembre au 31 décembre 1630, le registre de Maître Claraz mentionne 11 cas de décès par peste.

En 1631, 3 décès sont mentionnés les 3 janvier, 29 janvier et 9 mars, ce dernier entrainant la séquestration des habitants du Villard.

Le reste de l’année 1631 se passe sans nouveaux cas.

1632 révèle encore quelques cas isolés ; le 6 janvier 1632 la mort subite d’un jeune homme à Riortier entraine la séquestration de tous les habitants du village. Le registre de Maître Claraz rapporte encore 5 décès par peste entre le 8 janvier et le 24 février 1632.

Le registre d’état civil pour l’année 1630 donne de nombreuses morts à partir du 28 juillet environ. L’abondance exceptionnelle des décès ne laisse aucun doute sur le fait que nombre de ceux-ci sont dus à la peste. L’aspect laconique des rédactions révèle une situation anormale dont la cause est parfois mentionnée : « ob morbo aepidemia » [pour cause de maladie épidémique]. Mais ce n'est pas toujours le cas.

Nous nous référons donc à la période du 28 juillet 1630 au 24 janvier 1631 pour laquelle le registre donne 90 décès (toutes causes confondues et en contradiction avec les informations données par A. Gros).

A la vue des actes il est souvent difficile de distinguer les cas qui peuvent se présenter, tels :

48 décès restent sans justification déterminée.

Le test numérique donne un début brutal d’épidémie courant juillet 1630.

Pour nous, le décès de Pierre Claraz Bonnel le 14 août ne serait donc pas celui de la première victime de l’épidémie : il ne serait que le premier de la paroisse qui, bénéficiant peut-être de la notoriété de son père notaire royal, met en route la machine administrative et médicale d’encadrement de la maladie. On aimerait savoir si Pierre, fils ainé de Louis notaire, âgé de 21 ans, n’était pas apprenti clerc chez un collègue de son père à Saint-Jean-de-Maurienne, comme cela était alors souvent le cas entre notaires, d’où il aurait pu apporter la bactérie de la peste à Fontcouverte.

Mais auparavant, deux morts le 28 et le 31 juillet de personnes venant de Saint-Jean-d’Arves et de Saint-Jean-de -Maurienne peuvent paraître suspectes. La mort le 1er août (donc à une date à laquelle l'épidémie n'est pas encore reconnue officiellement) d’une habitante de Montrond, enterrée à Sagérard, lieu bien isolé des autres villages, pourrait être l'indication d’une importation de la maladie à Fontcouverte.

Quant à la fin de l’épisode, la date de fin février 1631 que nous détectons est très voisine de ce qu’avancent les récits de l’époque. Par contre, le test ne révèle pas de façon nette les 6 morts de peste de janvier et février 1632 pratiquement noyés dans la mortalité courante qui se trouve assez faible... on était parfois mort peu avant !

Le cardinal Billiet, ancien évêque de Maurienne, a donné dans les Mémoires de la Société Royale Académique de Savoie en 1837 un tableau présentant, pour chaque paroisse du diocèse, le nombre d’habitants (« approximatif » au dire‑même du cardinal) et celui des morts pour l’ensemble de l’année 1630. On y trouve pour Fontcouverte une population de 1 616 âmes et 97 morts. Concernant le volume de la population, le nombre donné parait totalement improbable si l’on ne compte pas les Ames du Purgatoire ! On ne connaît pas sa méthode d'estimation dont les résultats sont reportés dans un document des archives épiscopales. Une valeur de 1 200 résidents semble être un maximum. Quant au nombre des morts, il s’agit d’un nombre total sur l'année 1630 toutes causes confondues, valeur issue des Archives de la Chancellerie épiscopale. La cure de Fontcouverte ne donne que 91 décès et non 97 (les 1 et les 7 sont souvent faciles à confondre).

Pour le cardinal Billiet, le rapport de ces deux nombres à Fontcouverte est de 6 % (un double hasard !).

Pour nous, tenant compte des seules 64 morts probablement pesteuses et d’une population de 1 200 âmes, le rapport est de 5,3 % valeur nettement inférieure à la moyenne mauriennaise de 8,3 % (des paroisses de Haute-Maurienne et celle de la Chambre auraient payé un tribut de 30 à 50 %).

Une étude plus approfondie d'un document établi par le comité de santé de la paroisse permet une estimation plus précise et conduit au nombre très probable de 46 morts de peste, soit 3,8 % seulement de la population (à arrondir prudemment à 4 %), en tenant compte d'évènements particuliers non pesteux intervenus simultanément à la peste et d'une population de 1200 âmes. Ce nombre en nette réduction de ceux émis par la bibliographie et par nous‑mêmes comme ci‑dessus montre comment les estimations faites dépendent des archives traitées et des analyse plus ou moins approfondies qui en sont faites.

L’analyse de l’âge des individus mourant de la peste à Fontcouverte n’est malheureusement pas possible de façon efficace :

La répartition par âge révolu au décès de ces 63 personnes serait, dans ces conditions, la suivante :

Ages révolus (ans) 0 - 1 2 - 9 10 - 19 20 - 49 50 + Total
% des 63 décès 18 16 14 41 11 100

Pour interpréter l'incidence de la peste suivant les âges, nous nous référons à la mortalité générale connue sur la période 1601 - 1650 présentée sous forme de sa courbe de survie. Sur le graphique de cette courbe (en rouge) est superposée la survie, calculable approximativement à partir du tableau précédent, des personnes mortes de la peste (en noir).

Gardant à l'esprit toutes les incertitudes et les biais que présentent les informations du tableau, nous osons l'interprétation suivante. La peste aurait largement épargné les enfants de moins de 10  - 15 ans. Ce serait peut-être aussi le cas, mais avec moins de sureté, pour les Fontcouvertins de 50 ans et plus. Par contre les personnes de 10 à 50 ans auraient supporté l'essentiel du fardeau. Ce fait n'est pas étonnant, ces dernières sont les plus exposées par leurs activités, inévitables malgré les consignes strictes du Comité de santé, à une forte exposition à la contagion.

On doit noter que notre constatation hypothétique est contraire à ce que dit généralement la bibliographie.

Enfin, il est souvent admis que les épisodes de surmortalité intense ont un effet net sur les naissances et les mariages dans les années qui les suivent. Si cela est vrai et susceptible d'être prouvé pour une population importante, il est plus difficile de mettre ce fait en évidence à Fontcouverte avec son effectif de paroissiens relativement faible. Les fluctuations annuelles réputées « aléatoires » y sont relativement trop importantes.

Une analyse détaillée de l’effet de l’épisode de peste de 1630 montre bien une baisse importante des mariages en 1630 et des baptêmes en 1631. Cependant, sous cet aspect particulier, l’effet de l’épidémie n’aurait été que faible et très passager au milieu de toutes les autres misères.

Ainsi, bien que de durée exceptionnellement longue mais noyée dans un flot d'évènements souvent calamiteux dont nous ignorons l'existence précise, l’épidémie de peste de 1630 - 1632, certainement perçue comme catastrophique par les habitants de Fontcouverte, n’y aurait donc pas eu une incidence démographique proportionnée au bruit qu’elle a provoqué plus généralement en Savoie. Peut-être cela est-il dû à la vigilance du Comité de santé mais aussi à un relatif éloignement de la paroisse du fond de la vallée, des passages qui y avaient lieu, avant tout à la dispersion de la population dans les nombreux hameaux… et à l'absence des marécages souvent évoqués comme responsables de la maladie !

En tout cas, c’est, sans doute et malgré les réapparitions pesteuses qui auraient été répertoriées en Savoie (et même en Tarentaise ?) jusqu’en 1713, la dernière occurrence certaine à Fontcouverte de Yersinia pestis, la bactérie de la peste qui ne sera identifiée qu’en 1894 à Hong Kong. Si nos Comités de santé, qui n’avaient que l’isolement comme moyen prophylactique sérieux, avaient su que la puce du rat en était le vecteur direct à l'homme, la chasse aurait été certainement encore plus efficace mais très probablement fort longue ! En fait, le froid de l'hiver tuant ou terrant ces insectes explique sans doute l'arrêt quasi général des épidémies pesteuses dans les premiers mois de l'année suivant l'épidémie quitte à ce qu'elles reprennent de plus bel en été.

1639

L'épidémie aurait débuté mi-août pour se terminer début décembre.

Le pic aurait été atteint au début d'octobre.

Il s'agit d'une épidémie de fin d'été et d'automne de courte durée. Il pourrait s'agir de dysenterie ou de toutes autres infections digestives liées au manque d'eau potable en fin d'été.

Elle aurait fait 21 victimes environ.

1653

Notre analyse de la surmortalité montre encore un épisode violent en 1653 nettement isolé et de très courte durée. Cet évènement nous est inconnu dans les documents que nous avons pu consulter et serait alors typiquement local. Il aurait débuté mi juillet 1653 pour se terminer en septembre avec un pic très marqué en mi-août. Il aurait causé approximativement 60 morts en plus de 10 morts naturels.

Aucune peste n’est signalée à cette date ce qui aurait certainement été le cas s’il s’était agi de ce fléau. Le profil de contagion, avec une extension temporelle très étroite, ne correspond guère à cette maladie. L’analyse des âges aux décès montre que, mis à part de rares cas de contagion familiale et de quelques personnes en âge de décéder, les mourants sont des personnes âgées de 20 ans au maximum. C’est là un indice assez caractéristique d’une épidémie de dysenterie, maladie très fréquente en été et automne, atteignant surtout les enfants, en particulier au cours ou après des étés chauds et secs. L’affection est alors due à la consommation d’eau ou de nourriture avariées. Il est très probable que nombre d’épisodes moins violents de surmortalité d’été ou d’automne soient dus à cette cause.

Voilà en tout cas le dernier épisode de surmortalité violente connu à Fontcouverte... à peine moins « catastrophique » que la peste de 1630 !

1660

Deux épisodes apparaissent distincts qui n'ont probablement pas la même cause.

Le premier se manifeste à partir de février pour s'arrêter fin mars. Il ne concernerait que quelques victimes.

Le second prend le relai dès juin pour ne se terminer que début septembre avec un pic fin juillet, faisant, lui, 20 victimes environ.

1669

L'épisode aurait débuté au début du mois d'août avec un pic en mi-septembre. Il se serait prolongé jusqu'à fin décembre.

La durée de l'épisode paraît longue pour une simple épidémie d'été.

Nous ne connaissons pas la cause de cet évènement important qui, par sa durée, aurait fait environ 44 victimes.

1691

Un groupe de deux épisodes se retrouve en automne 1691 et début 1692.

Seul celui de l'automne 1691 est réellement significatif, l'autre pouvant peut-être faire partie de la routine.

Le premier débute fin août ou début septembre pour ne finir qu'à la fin de l'année avec son maximum en octobre. Parions pour une dysenterie d'autome ou toute autre maladie digestive ou encore pour la variole suivie d'une mauvaise grippe ou d'un coup de froid dans l'hiver 1692 !

L'estimation des victimes de l'autome serait de 21 environ.

1722

Un pic très net apparait en 1722 entre début juillet et fin octobre avec un maximum en août.

Il pourrait s'agir d'un épisode classique d'automne. Les archives d'état civil ne mentionnent aucune cause particulière (sauf une femme « morte de maladie »). Il aurait fait 31 morts environ.

L'épisode semble sans rapport évident avec l'épidémie de peste redoutée en 1721 qui, venant de Provence, n'aurait probablement pas atteint Fontcouverte mais aurait nécessité des mesures de prévention très strictes.

1743

Il s'agit du dernier épisode de surmortalité important rencontré à Fontcouverte.

Il tranche sur une longue période sans problèmes majeurs.

Il est aussi remarquable par sa grande régularié entre un début courant août et un arrêt en fin d'année avec un pic très marqué en début novembre.

Il aurait fait 26 morts environ.

Nous n'avons pas d'informations sur cet épisode singulier à plusieurs titres. Mais la dure occupation espagnole y est peut-être pour quelque chose !

Les épisodes marqués mais non catastrophiques

43 épisodes à surmortalité marquée (pic moyen entre 0,1 et 0,2 mort par jour) sont détectés entre 1587 et 1900.

En l’absence d’informations dans les actes de décès, il est bien difficile de déterminer la cause de ces épisodes.

19 d'entre eux sont situés en été - automne et pourraient correspondre, du fait de leurs extension temporelle étroite, à des épidémies d’origines diverses sans doute microbiennes, peut-être digestives.

24 se situent en hiver ou au printemps. Il pourrait alors s’agir d’épisodes liés aux infections pulmonaires ou broncho-pulmonaires, maladies très fréquentes à l’époque ou, plus simplement, au froid intense.

Deux cas de décès par cholera sont mentionnés dans les archives en décembre 1768 et avril 1769, nombre insuffisant pour correspondre à notre définition d’une surmortalité intense.

Dans le temps, 9 épisodes sont du XVIIe siècle, 30 du XVIIIe et 3 seulement, plus singuliers, dans la seconde moitié du XIXe en 1859, 1867 et 1871. Dans ce dernier épisode, trois Fontcouvertains seraient morts en décembre 1870 et un en juin 1871 de faits de guerre à Paris et à Chambéry.

Parmi les maladies redoutées autrefois, se trouve la lèpre. A en croire A. Gros, les cas seraient relativement rares dès le XVIIe siècle, ils échappent donc à notre test mais A. Gros signale un Georges Mollaret, originaire d'Albiez-le Vieux mais habitant Fontcouverte, occupant la maladière de Saint-Jean en 1588.

Dans le bruit de fond

Bien d’autres épisodes interviennent en particulier dans les saisons hivernales, nettement moins virulents mais larvés sur plusieurs mois. Ils auraient pour origine les maladies infectieuses d’hiver, se superposant éventuellement aux difficultés d’alimentation en périodes de disette qui affaiblissaient les corps.

1709 - 1710 est un cas particulier qui mérite d’être signalé ; il est encadré par deux périodes à faible mortalité.

Il débuterait en septembre 1709 pour ne se terminer qu’en juillet 1710 ce qui correspondrait à une « année de récolte ».

L’hiver 1709 – 1710 est connu localement comme redoutable. Il se peut donc que des morts soient dues au climat. L’amorce de l’épisode dès l’automne 1709 et sa fin dans l’été 1710 laisse cependant penser que la surmortalité est principalement due à une période de difficulté alimentaire.

96 morts sont observées pendant la durée de l’épisode, les morts naturelles pouvant s’élever à 52 (l'année 1710 correspond au maximum de décès annuels observé de 1587 à 1900). Le nombre de victimes de l’épisode est alors estimé à environ 44, valeur peu inférieure à celles des grandes épidémies du XVIIe siècle.