Fontcouverte
 

Sous quelles formes se manifeste l'épidémie de peste de 1630
dans les paroisses de Maurienne ?

A partir des graphiques que nous avons établis dans les paroisses étudiées en Maurienne nous tentons de comprendre comment nous pouvons percevoir la survenue de la peste dans un village en Maurienne.

La peste est d’abord une affaire personnelle. Tel est au champ qui ne croise pas le mal. Tel autre est dans son étable et est atteint. Encore ce dernier a‑t‑il une chance sur deux ou trois de surmonter la maladie et n’en pas mourir. Le « hasard » est capable de changer bien des situations.

Mais la peste est aussi une affaire domestique. Une personne contagieuse avec ses puces ou ses éternuements est un vecteur presque sûr du mal pour toute la maisonnée. Il ne s’agit plus d’une victime mais de deux, trois ou quatre. Si la désinfection d'une maison contaminée n’est pas efficace, ce qui est souvent le cas, les personnes mises pour tester l’état final de la maison sont à ajouter à la contamination domestique.

La peste est enfin une histoire de voisinage. Que les maisons soient éloignées les unes des autres ou appartiennent à des villages (appellation mauriennaise pour hameaux) distants, la peste aura sans doute du mal à se propager autrement que grâce aux contacts entre humains dans leurs activités et déplacements sans avoir recours aux rats. Que les maisons soient rapprochées dans les rues d’une agglomération à l'habitat resserré, surtout si les rues sont particulièrement malsaines comme c’est généralement le cas en 1630, les rats auront toute facilité pour passer de la cave d’une maison à celles des maisons voisines et répandre rapidement une contagion généralisée. Il s’agit alors de dizaines, voire de centaines d’individus atteints dans nos très petites villes de Maurienne et bien sûr de milliers dans les grandes villes de Savoie ou d'Europe. Le bacille Yersina pestis est la cause de la maladie de la peste mais ces sont les hommes qui sont les responsables de l'épidémie.

Une épidémie serait ainsi à résoudre au niveau de chaque individu et constater l’environnement plus ou moins dense ou dangereux qui lui est imposé. Aucune archive ne donnera jamais les dates et heures précises des décès d’un lieu pour permettre une analyse personnelle ce qui serait d’ailleurs inutile dès que le nombre de décès devient important. Aussi groupons‑nous les décès qui sont survenus, un peu aléatoirement, dans un laps de temps court. Mais ne connaissant pas exactement dans quelles maisons ils ont lieu on ne peut que tenir compte du temps et non des lieux. Ainsi un pic de mortalité peut ne représenter qu’une concomitance de décès dans le temps et grouper des individus sans relation réelle et être ainsi très artificiel. Jusqu’à quel point de détail faut‑il analyser les chroniques de décès ou au contraire les globaliser ? C’est pour cela que nous présentons différents types de graphiques de décès, journaliers mais également des moyennes mobiles sur 3 et 5 jours. De plus, un pic peut être la conséquence soit d’une mortalité brusque importante (par exemple plusiurs morts le même jour) soit d'une suite de morts journalières rapprochées dans le temps (par exemple 1 morts tous les jours).

Pour éclairer tous ces phénomènes dans chacune des paroisses, nous avons tenté de définir certaines courtes périodes de mortalité particulièrement caractérisées, que nous appelons ici épisodes, réunissant, de façon un peu arbitraire mais assez probable, les décès d'un certain laps de temps.

Malgré ces difficultés, il apparaît bien une différence entre les villages à population dispersée où les épisodes se suivent sans trop se superposer dans le temps par opposition aux agglomérations plus regroupées où les épisodes se suivent rapidement au point qu’on peut oser des regroupements plus généraux.

Le type « urbain » de propagation de la peste (maisons très regroupées)

En Maurienne, l’exemple le plus caractérisé de ces regroupements massifs de morts est celui de Modane où la courbe des décès journaliers peut être résolue de façon approximative mais assez proche de la réalité en quelques épisodes. Chacun d’eux se développe à son rythme mais l’un n’est pas terminé quand le suivant commence à se manifester. Le nombre des décès à un instant donné est alors la superposition temporelle des deux épisodes ce qui conduit à une certaine continuité apparente dans le développement du mal.

Le graphique des décès journaliers ci‑dessous à gauche montre de nombreux pics très étroits se succédant rapidement mais les graphiques suivants de la moyenne mobile sur 3 jours puis sur 5 jours ne montrent pas d'instants où aucun décès n’est enregistré sur une durée dépassant 3 ou 5 jours (et même beaucoup moins, généralement 1 jour) dans la période d’épidémie qui apparaît alors comme massive.

Décès journaliers
Décès moyenne mobile sur 3 jours
Décès moyenne mobile sur 5 jours

Suivant que l'on s'intéresse aux détails ou aux aspects globaux de l'épidémie, le graphique à retenir peut être différent.

Les graphiques ci‑dessous illustrent à titre d'exemple :

Avec une série de quelques autres épisodes supplémentaires d’importance décroissante on peut représenter assez précisément la partie terminale de l’épidémie.

Au type urbain nous associons un taux de mortalité généralement très élevé.

Nous espérions confirmer ce mode urbain de propagation de la peste à Saint-Jean-de-Maurienne et à Aiguebelle. Malheureusement les archives sont pratiquement muettes en dehors du tout début de l'épidémie, lacune que l'on pourrait attribuer à la violence de l'épidémie à venir, déstabilisant la vie courante et en particulier celle du prêtre chargé de l'enregistrement des décès. On sait cependant, d'après une note particulière dans les archives, que près de 40 % de la population d'Aiguebelle serait morte de peste ce qui en fait bien une épidémie de type urbain.

Le type « rural » de propagation de la peste (maisons généralement dispersées)

Au contraire, l’exemple d’Albiez-le-Vieux représente bien une population dispersée. Les effectifs de morts rapportés à la population sont relativement très faibles en comparaison de ceux observés dans le type urbain. Les épisodes que nous pourrions calculer ne concerneraient alors que quelques personnes atteintes éventuellement en des lieux différents et ne présenteraient pas d'intérêt. L’espacement temporel des épisodes conduit le plus souvent à un recouvrement très faible et en tout cas presque négligeable pendant la phase d'instauration de la peste. L’épidémie apparaît alors conne une suite de contagions pratiquement indépendantes sans montrer la régularité de Modane.

Décès journaliers
Décès moyenne mobile sur 3 jours
Décès moyenne mobile sur 5 jours

Et tous les types intermédiaires de propagation de la peste

Pour illustrer la diversité des formes de propagation de la peste dans les paroisses de Maurienne, voici encore quelques exemples caractéristiques dans lesquels la répartition plus ou moins dispersée de l'habitat semble bien avoir un rôle déterminant.

Il importe de tenir compte dans les graphiques des niveaux très variables de la mortalité des diverses paroisses présentées du fait du volume des populations et de la violence locale de la peste.

Modane (type urbain)
L'habitat est très resserré sous forme d'une petite « ville ». Très violente, l'épidémie atteint rapidement un sommet qui se maintient sous quelques épisodes successifs. Puis l'épidémie régresse d'abord rapidement avant de s'éteindre progressivement par des épisodes d'importance décroissante.
Lanslebourg
Le village est très resserré et centré sur ses activités liées aux passages sur la route de Maurienne. L'épidémie, très violente, s'installe d'abord progressivement puis s'étend très rapidement sous forme d'un épisode principal bien marqué. Elle régresse ensuite de façon brutale mais persiste avec, peut‑être, une reprise en fin d'année 1630.
Saint-Sorlin-d'Arves
La paroisse est constituée de plusieurs hameaux dont la plupart sont très voisins dans la vallée de l'Arvan. Les épisodes jointifs sont nombreux assurant une croissance puis le maintient de l'épidémie de violence moyenne.
Montrond
L'habitat se répartit dans 4 hameaux sans maisons isolées. L'épidémie de violence réduite se manifeste sous forme de trois épisodes relativement distincts d'importances égales.
Fontcouverte
L'habitat se répartit en nombreux hameaux et en maisons isolées. L'épidémie est peu violente. Plusieurs épisodes assurent une montée progressive de l'épidémie qui se maintient grâce à quelques pics marqués avant de décroitre rapidement. Cependant, l'épidémie qui semble arrêtée reprend dans quelques épisodes tardifs disjoints dans le temps.
Albiez-le-Vieux (type rural)
L'habitat se répartit en plusieurs hameaux et maisons isolées. L'épidémie de violence très réduite se manifeste sous forme de nombreux épisodes relativement distincts d'importances comparables impliquant très peu de personnes.
La Chambre (type incertain)
L'habitat est regroupé dans sept hameaux pratiquement tous situés sur la grande route de Maurienne. L'épidémie, globalement assez violente, apparait et disparait brusquement (problème d'archives ?) Entre ces limites, l'épidémie se développe sous forme de nombreux épisodes d'abord peu espacés dans le temps puis plus distincts dans une seconde phase. La dispersion de la population en quelques lieux n'a peut‑être pas permis à l'épidémie d'exploser comme à Modane  malgré les nombreux passages sur la route de Maurienne pouvant expliquer les pics successifs.

En résumé, les caractéristiques principales opposant les types de contagion

Nous synthétisons ici les caractéristiques les plus marquantes différenciant les épidémies rurales de celles urbaines.

Nous prenons comme représentatives les importantes paroisses de Modane et de Fontcouverte qui ont des populations estimées voisines en volume, respectivement 950 et 1100 ‑ 1200 habitants. Deux graphiques résument ces caractéristiques pour chaque type de contagion en ne présentant que la période réputée pesteuse pour mieux la détailler.

Modane : le type « urbain » (habitat concentré)...     une contamination globale.

Fontcouverte : le type rural (habitat très dispersé)...     une contamination dispersée dans l'espace et le temps.




Le graphique ci‑contre reprend le précédent mais édité avec l'échelle de son correspondant de Modane. Il reflète la grande différence du nombre des morts enregistrés dans les deux types de contagion.