Fontcouverte
 

Les Fontcouvertins et l'élevage du bétail

L’élevage du bétail est certainement, avec l’agriculture, l'une des occupations principales des Fontcouvertins. Il est source de nourriture : approvisionnement en viande même si très peu en est consommé, disposition de lait surtout (ne dit-on pas que ce produit est un bon moyen pour résister en période de disette quand rien d’autre ne se trouve plus à être mangé). Seule source d’engrais pour les cultures au rendement faible. Source de matériaux tels le cuir, la laine et, en hiver, source de chaleur. Seul moyen de traction pour labourer ou aller au marché de Saint-Jean. Enfin, source de revenu quand des fromages ou une bête peuvent être vendus.

Mais quelles sont les animaux que les Fontcouvertins élèvent ? Quelle est la taille des troupeaux ?

Et de quelles informations disposons-nous ?

Dans les archives de la cure, on trouve quelques documents à ce sujets, documents clairs mais peu nombreux.

Il s’agit principalement des consignes du sel qui nécessitent l’inventaire précis du bétail « prenant sel » donc vaches et bœufs, chèvres et brebis, cochons à saler. On ne saura rien sur les poules et les canards pourtant bien utiles. Ce n’est donc pas là, non plus, que l’on pourra trouver les ânes, les mulets et les chevaux… et pourtant ! Malheureusement nous ne disposons de ces consignes qu'entre 1726 et 1789.

Les animaux et leurs regroupements dans la consigne du sel de 1718
Chèvre « qui taite » =  chevreau ? « Couchon » = cochon
« Cabaratier », boulanger, « revandeur » sont des humains taxés pour le sel qu'ils utilisent !

Il se trouve que quelques recensements, en principe plus particulièrement intéressés par les humains, signalent également les « bestiaux ». C’est le cas du recensement de 1561 (le Duc a alors des préoccupations fiscales) mais aussi ceux de 1718 et 1734.

Mis à par le cas particulier de 1561, nos informations ne portent donc que sur le XVIIIe siècle et encore partiellement.

Quelques difficultés apparaîssent à la lecture de ces documents en vue d'une synthèse.

La première réside dans le fait que les animaux sont regroupés dans des rubriques variables. Tantôt les vaches sont isolées, tantôt elles sont regroupées avec les génisses et les veaux, voire les bœufs. Nous harmonisons, dans la mesure du possible, ces différences par des répartitions logiques, du moins probables.

Une seconde difficulté se manifeste en liaison avec la saison de réalisation d'un dénombrement. Bien que la date d'inventaire des bêtes dans les bergeries ou les étables ne soit pas toujours donnée de façon assez précise, il nous est possible de déterminer cette date à quelques semaines, voire quelques jours, près. Une distinction intéressante est alors à faire dont la justification est donnée plus loin.

Les divers animaux

Pour suivre les dénombrements, des catégories sont à faire en fonction de la taille des bêtes.

Le menu bétail

Cette catégorie n'est jamais précisée dans les dénombrements ne relevant pas de la consommation de sel ou étant considérée comme de faible valeur et implicitement comme évidente. Il s'agirait de ce que l'on appelle les animaux de basse-cours.

Ils comprennent les poules, les canards, les lapins... qui certainement existent dans presque toutes les maisons y compris les plus modestes. Outre les œufs qu'ils produisent, ce sont probablement et pratiquement les seules sources de viande consommée avec quelques petits bétails accidentés et mis à saler pour en prolonger l'utilisation. Nous n'en connaissons pas les nombres.

Le petit bétail

Ces animaux sont comptabilisés dans les dénombrements. Ils comprennent les chèvres (les boucs sont rarement distingués), les brebis et les moutons. Au printemps et en été, on trouve également les chevreaux et les agneaux qui disparaissent avant l'hiver suivant. Ils représentent une part importante du bétail mais sont très rarement consommés. On note seulement des chèvres mises à saler pour leur conservation. Ils sont présents dans de nombreuses maisons, souvent seuls dans les maisons les plus modestes, et constituent d'importants fournisseurs de lait destiné à la fabrication des fromages. Les brebis et les moutons, beaucoup plus nombreux que les chèvres, procurent de plus la laine qui sera tissée pour faire les draps épais des robes des Fontcouvertines.

Il est curieux, bien que la rubrique soit mentionnée dans la plupart des dénombrements, que les cochons soient toujours absents. Les Fontcouvertains ne disposeraient-ils pas de ce type de compagnon pourtant classique dans grand nombre d'habitations rurales ? Il est vrai que Fontcouverte est pauvre en alimentation spécifique, comme les chataignes ou les glands. Les cochons au régime omnivore risquent alors d'être en compétition avec les humains (les déchets domestiques sont bien rares à l'époque).

Non mentionnés eux aussi, les chiens ne doivent pas être rares ne serait-ce que pour la garde des troupeaux.

Le gros bétail

Pour la plupart gros consommateurs de sel, ces animaux constituent les éléments les plus importants souvent très détaillés des consignes du sel.

Ce sont les vaches, les bœufs auxquels s'ajoutent au printemps et en été les veaux et les génisses. Ce sont des animaux « nobles » apparaissant plus rarement ou en nombre très réduit dans les maisons les plus pauvres. Ils fournissent l'essenliel du lait de consommation surtout réservé à la fabrication du fromage, la tome grasse le plus souvent vendue et la tome maigre tirant ce qui peut encore être consommé du petit lait et probablement seul élément de la consommation domestique. Les bœufs participent comme les mulets et les chevaux aux lourds travaux des champs.

De leur côté, les veaux et les génisses sont destinés à la vente si quelques uns d'entre eux ne sont pas gardés pour être incorporés aux troupeaux dès l'hiver revenu. Le recensement de 1561 mentionne des « mouges » et des « bounatz ». Ce sont peut-être des génisses et des veaux bien que ces derniers termes soient également utilisées.

Consigne du sel de 1734    VP : nombre de vaches en propriété
VH : nombre de vaches à l'hiverne  

Les deux consignes du sel de 1726 et de 1734 apportent une information complémentaire rencontrée nulle part ailleurs. Il s'agit des « vaches à l'hyverne ». Ce sont des vaches prises en pension pendant l'hiver. Leur nombre est très variable suivant les années (près de 200 en 1726, un peu moins de 100 en 1734). L'origine de ces bêtes n'est pas connue mais est externe à la paroisse. Par contre, la répartition de ces bêtes dans les maisons de Fontcouverte est facilement déterminable. Il s'agit toujours de maisons n'ayant pas de vaches en propriété (mais des chèvres et des moutons) ou moins de 4 vaches seulement. Les maisons les plus pauvres en vaches sont celles qui concentrent le plus de vaches à l'hiverne. Il s'agirait donc d'un complément de revenu pour les maisons pauvres disposant de place libre dans l'étable et du foin correspondant dans l'attente de la montée en été dans les alpages.

On signale encore des vaches « en montagne » pendant la belle saison qui y monteraient en pension.

Les ânes, les mulets et les chevaux ne sont inventoriés que dans les recensement de 1734 et la consigne du sel pour l'année 1790. Il est pourtant évident qu'ils sont pratiquement toujours présents. Les mulets, parfaitement adaptés au relief, aux chemins étroits et pierreux et plus dociles que les chevaux, sont les plus nombreux et semblent représenter le cheval du pauvre qui n'a, par ailleurs, qu'un âne. Il sont destinés, suivant les moyens de chaque Fontcouvertin, aux travaux des champs et de la forêt, aux transports des produits de l'agriculture, voire, sans doute bien plus rarement, des personnes (lors de ses visites pastorales, l'Evêque de Saint Jean arrive à Fontcouverte monté sur un cheval spécialement prété par un paroissien !) Une particularité des équins, liée certainement à l'investissement qu'ils représentent, est que ces animaux peuvent être « en copropriété » de deux voire trois Fontcouvertins qui s'en partagent les services.

L'influence des saisons sur les dénombrements

Comme le laisse supposer les lignes précédentes, d'importantes différences peuvent apparaître dans les catégories d'animaux mentionnés dans les dénombrements successifs. Au premier abord, on serait tenté de penser que le secrétaire manque de suite dans ses idées. Mais à y réfléchir, une logique évidente apparaît en relation directe avec la saison pendant laquelle le dénombrement est réalisée.

 

La lecture des divers dénombrements doit tenir compte de cette distinction et de l'évolution du cheptel au cours de l'été et de l'automne.

Répartition du bétail par catégories

Une estimation, parfois approximative particulièrement pour les bovins, est faite concernant ici les seuls animaux conservés d'année en année (excluant donc une grande partie des veaux, génisses, agneaux et chevreaux destinés à la vente). Elle permet de se faire une idée de l'évolution du capital animal en fonction du temps. Le recensement de 1561, réalisé dans des conditions particulières difficiles à contrôler, laisse des doutes (de plus, il est réalisé en été comme celui de 1734 et inclut de nombreux animaux inventoriés sous différents noms devant très probablement être vendus que nous avons tentés d'éliminer)

Le tableau donnant le nombre estimé d'animaux révèle cependant pour la période 1729 à 1789 la quasi stagnation du nombre des ovins et des caprins alors que celui des bovins progresse régulièrement et fortement. Les Fontcouvertins seraient-ils de moins en moins pauvres en moyenne ?

  1561 1726 1734 1789 Total
Bovins 510 370 500 660 2040
Ovins et caprins 1700 1590 1490 1470 6250
Total 2210 1960 1990 2130 8290

Les graphiques suivants donnent la répartition, au cours du temps, des bêtes (comptées par têtes) classées par catégories recensées.

1561 1726
1734 1789

Bien que ces catégories soient très variables suivant les époques, on peut avancer les répartitions suivantes.

  1561 1726 1734 1789
Part des bovins (%) 22 26 28 35
Part des ovins et caprins (%) 78 74 72 65

Pour faciliter les comparaisons

Ainsi peut-on confirmer une nette évolution en faveur des bovins, ceux-ci passant de moins d'un quart à plus d'un tiers du cheptel entre 1561 et 1889, ce changement paraissant s'accélerer en fin du XVIIIe siècle et traduire une amélioration des consitions économiques.

Parmi les ovins et caprins, l'évolution serait dans le sens de la diminution de la part des caprins de un quart en 1561 à un cinquième en 1789 au bénéfice des ovins.

En complément et pour gagner de la place dans la page, la répartition des équins en 1734 est donnée dans le premier graphique suivant. Manifestement les mulets sont de loin les plus nombreux représentant deux tiers des équins. Les chevaux constituent un peu plus d'un cinquième, les ânes restant minoritaires et principalement affectés aux maisons relativement pauvres quand ils sont seuls.

Répartition du bétail par maisons

Il est encore intéressant de constater comment le bétail se répartit dans les diverses maisons. Les graphiques suivants précisent ainsi comment chaque regroupement familial est doté en bétail y compris ceux qui n'en n'ont aucun.

1734 1561
1726 1789

On note que la grande majorité des maisons élève des troupeaux mixtes bovins-ovins-caprins.

Cependant, une nette évolution apparaît au cours du temps dans le sens d'une régression de la proportion des maisons n'ayant aucun bétail (division par 3 entre 1561 et 1789) ou n'ayant que des ovins et caprins (passant de 23 % en 1561 à 2 % en 1789) ; la proportion des maisons avec seulement des bovins reste très faible et constante. Simultanément, les troupeaux mixtes passent de 60 à 91 % devenant la norme quasi absolue à la fin du XVIIIe siècle.

Même si l'on peut penser qu'en 1561 la situation économique puisse être particulièrement défavorable, cette dernière évolue lentement mais manifestement dans le bon sens au fil des XVIIe et XVIIIe siècles. On regrette de n'avoir aucune information pour le XIXe.

La répartition du cheptel dans les troupeaux

Une dernière analyse peut encore être faite concernant les tailles des différents troupeaux. Nous ne prenons que l'exemple du recensement de 1734 dans la mesure où les évolutions dans le temps sont faibles et portent principalement sur la répartition des ovins-caprins par rapport aux bovins que nous connaissons déjà.

Ces tailles sont très variables depuis les maisons qui n'ont aucun bétail jusqu'à des troupeaux importants dépassant 50 têtes.

La quasi totalité des troupeaux se répartit régulièrement entre 5 et 40 têtes avec une fréquence maximale pour ceux de 10 à 15 têtes. Ils sont constitués pour un quart seulement de bovins ; cette proportion est pratiquement indépendante de la taille des troupeaux. Elle ne dépendrait donc pas de la « richesse » des propriétaires mais correspondrait à un optimum économique (disponibilité des moyens nécessaires à chaque type de bétail et utilisation des produits engendrés).

De très rares troupeaux dépassent 40 têtes (un seul de 56 bêtes est porté sur le graphique, les autres atteignant 67 et 75 bêtes). Ce sont des cas particulièrement riches en ovins, les deux plus importants étant en grande partie constitués de brebis et moutons pris à engraisser pour l'été.

Les équins se répartiraient pratiquement comme le reste du bétail.