Fontcouverte
 

Ancêtres et consanguinité

L’arbre généalogique qui cache la forêt des ancêtres

L'arbre des ascendants

Nous connaissons tous les arbres généalogiques que ce soit celui des rois de France, celui des ducs de Savoie ou plus simplement celui de notre famille. Il s’agit de représenter, sous forme d’un arbre garni de branches se ramifiant par paires, les ascendants d’une personne donnée située à la base de l’arbre. Tout est simple dès que l’on connaît les personnes à mettre sur les branches : papa, maman, grands-pères et grand’mères… en remontant aussi haut que possible dans le temps.

L'arbre des descendants

 

Renversant l'arbre, on peut aussi représenter les descendants d’une personne située « en haut » (à la base du tronc de l’arbre) d’où partent, vers le bas (comme des ramifications de la racine), ses enfants puis ses petits enfants mais dans cette représentation le nombre de descendants n’est plus systématiquement de deux à chaque ramification comme pour les ascendants.

Malheureusement, avec de telles représentations, on risque d’être loin de la réalité qui peut souvent ménager bien des surprises. L’un de vos ancêtres aurait eu plusieurs enfants dont deux (ou plus) sont de vos « directs ». Cet ancêtre apparaîtra sur deux branches différentes de l’arbre de vos acsendants ainsi que tous ses propres ancêtres. Si vous comptez parmi ces derniers ceux qui ont réellement existé, vous en trouverez bien moins que de branches dans l’arbre. Un autre cas peut être celui d’un homme qui aurait eu un enfant d’un premier mariage puis, devenu veuf, en aurait eu un autre d’une seconde femme. Si ces deux enfants sont de vos ancêtres, vous trouverez deux mères mais un seul père. Les branches de l’arbre se croisent.

Une autre façon de représenter la réalité est de ne porter qu’une seule fois sur l'arbre des ascendants chaque ancêtre ayant réellement existé. Mais alors il ne s’agit plus d’un arbre. On a affaire à un buisson plus ou moins touffu voire une forêt vierge avec ses lianes. Les mathématiciens appellent cette figure un graphe dans la mesure où il apparaît des boucles dans les branches. On imagine facilement que la probabilité de rencontrer des boucles est d’autant plus grande que l’on remonte plus haut dans le temps et que l’on s’intéresse à une population de taille plus réduite limitant les choix de mariage.

Dans les graphiques suivants, les points bleus représentent les homme, les points rouges les femmes.

Un exemple simple illustre l’apparition de boucles dans un graphe généalogique. La figure de gauche donne l’arbre généalogique des descendants de A. Pour simplifier on n’a représenté que deux descendants à chaque génération ainsi que les conjoints rapportés en noir, partiellement cachés. Dans la figure de droite, on suppose que les descendants B et C de A se marient (il s’agit de cousins germains dont le mariage est autorisé par le droit civil) et ont un enfant D. L’arbre s’est transformé en un graphe présentant une boucle DBEA-AFCD entre D et A.

Dans l’arbre généalogique classique des ascendants de D, A apparaît alors deux fois avec son épouse X. Quant à D, elle n'a pas huit arrière grands-parents, comme on aurait tendance à le penser, mais seulement six.

Si l'on ne tenait pas compte de ce « réemploi » des ancêtres, on trouverait qu'une personne née en 1900 aurait, vers l'an 1200, un nombre d'ancêtres « théoriques » qui dépasserait la population mondiale de l'époque ! C'est aussi pourquoi on dit que tous les Français (ou presque) descendraient de Charlemagne... mais par quel arbre ou plutôt quelle forêt ?

La réalité est en effet bien plus complexe ne serait-ce que dans le cas d'une simple paroisse considérée dans le temps court de trois ou quatres siècles. Voici le graphe des ascendants de Marie Baptiste Bouttaz née à la fin du XIXe siècle. Dans ce graphe, Marie est l’équivalent de D du graphe ci-dessus et les 51 ancêtres directs communs sont les équivalents multiples de A (il s’agit seulement des premiers ancêtres rencontrés en remontant le temps, les archives ne permettant pas de regarder plus haut). Pour plus de clarté, les nombreuses personnes intermédiaires comme B, E, C et F ne sont pas représentées. De même, ne sont pas dessinées comme telles les liaisons qui peuvent être multiples entre deux personnes. Les chemins tracés d'un trait simple sont souvent doubles voire quadruples !

On note bien, enfin, que les liaisons sont d'autant plus fréquentes qu'on remonte dans le temps et donc dans les générations.

Voici encore une illustration précise de ces chemins multiples très fréquents à Fontcouverte : il s'agit d'un chemin quadruple extrait du graphique précédent.

Le graphe détaille les liaisons de l’un des 51 ancêtres communs portés en haut à droite sur le graphe précédente  : Jenon Gilbert Collet née en 1609, mariée deux fois et à la tête d'une fratrie Viffrey de 6 enfants et d'une autre Collet de 8 enfants. Les descendants des deux fratries se marieront deux fois encore de façon croisée. Il existe bien quatre chemins entre Jenon et Marie Baptiste et six boucles permettant de partir de Marie Baptiste et d’y revenir en passant par Jenon. 27 personnes sont impliquées au total.

Dans l'arbre généalogique de Marie Baptiste Bouttaz, Jenon Gilbert Collet apparaît ainsi quatre fois (sans compter tous ses ascendants directs que nous ne conaissons pas !)

C’est justement l’analyse des boucles des graphes qui constitue l’étude de la consanguinité.

Les restrictions de mariage et les degrés de consanguinité

La liaison entre deux individus du fait de leurs ancêtres communs et les conséquences qu’elle peut entraîner concernant la transmission de tares intéressent tant les biologistes que les démographes. De nombreuses études théoriques, généralement complexes pour ce que nous pouvons présenter, ont eu des applications multiples.

Mais bien avant cela, la parenté des personnes devant se marier est déjà un obstacle à leur union, non pour des raisons biologiques mais pour des implications sociales en relation avec la notion de lignée. La lignée , aux époques anciennes, est le groupe plus ou moins soudé de personnes ayant un ascendant commun, groupe susceptible de se manifester dans la protection des membres de la lignée : vengeances d’injures, de meurtres ou lors des héritages en particulier. Suivant les époques et les régions, le lignage peut remonter plus ou moins haut au plan juridique (parfois illimité au Moyen-âge !) L’Eglise, se calquant sur les coutumes civiles courantes, retient alors la limitation à sept générations séparant chacun des futurs époux de leur ancêtre commun, ce qui confine encore à l’absurde. En 1215, le Concile du Latran réduit les interdictions de l’Eglise à cinq générations, en accord avec le droit d’héritage de l’époque mais sans relation avec l’utilité sociale. Cette limitation qui peut paraître encore difficilement contrôlable durera jusqu’en 1917.

Ce n’est donc qu’un hasard si les restrictions canoniques de l'Eglise vont dans le sens d’une prévention contre les risques biologiques de la consanguinité.

Il existe deux définitions de ces degrés de consanguinité pour la période qui nous intéresse à Fontcouverte.

Les degrés du droit canonique (computation germanique)

Pris en compte par l’Eglise, ils concernent à Fontcouverte la période couverte par les archives jusqu’en 1860, avec une interruption pendant les années françaises de 1792 à 1815.

Le degré de consanguinité de deux personnes est compté comme le nombre de générations séparant ces personnes de leur ancêtre commun. Ainsi, deux frères B et F sont-ils au degré 1, les petits enfants C et G d’un grand-père au degré 2. Si les personnes ne sont pas de la même génération par rapport à l’ancêtre commun, on parle de degré inégal comme dans le cas d’une nièce (telle G) et de son oncle (tel B) qui sont au degré 1-2 par rapport à l’ancêtre : père de l’oncle d'un côté et grand-père de la nièce de l'autre côté. Il se peut également que plusieurs ancêtres communs soient en cause. Le lien de consanguinité est alors décrit comme double (voire multiple), chaque lien particulier étant précisé comme il est fait pour un lien simple. En principe, à l'époque qui nous concerne, l’Eglise interdit les mariages jusqu’au degré 6 inclus. Mais comment peut-on se marier à Fontcouverte s’il faut bien connaître son arrière arrière arrière arrière grand-père, le grand-père étant parfois tout juste connu par son prénom ? Aussi, dans la pratique, les mariages sont-ils normalement admis jusqu’au degré 5 et des dispenses sont-elles accordées de façon courante par l’évêque ou son vicaire général pour les degrés 3 et 4. Pour les degrés inférieurs, il faut avoir recours au Pape ce qui ne concerne guère que les grands de ce monde inéxistants à Fontcouverte.

Il ne faut pas confondre les dispenses de consanguinité avec les « dispenses d’affinité » concernant par exemple un veuf épousant la sœur de sa femme défunte ou une marraine de ses enfants. Des dispenses peuvent également être obtenues si les époux n’ont pas l’âge requis pour se marier, âge pourtant bien faible. Ainsi Jean Baptiste Crinel doit obtenir une dispense de 12 jours, il n'a pas exactement 14 ans à son mariage le 29 août 1707 !

Les degrés du droit civil (computation romaine)

Ils sont applicables à Fontcouverte depuis 1861 (et au moins légalement pendant la période 1793-1815). Le degré de consanguinité de deux personnes est compté comme le nombres de générations séparant ces personnes en passant par l’ancêtre commun. Ainsi, une mère et sa filles (telles A et B) sont-elles au degré 1, deux frères (tel B et F) au degré 2, deux petits enfants ou des cousins germains (tels C et G) au degré 4.

Les mariages sont autorisés (à quelques écarts près) aux degrés supérieurs ou égaux à 4.

Les degrés civils ont ainsi des valeurs généralement doubles de celles des degrés canoniques.

Les coefficients de consanguinité et leurs calculs

Ces coefficients ont pour but de quantifier l’intensité du lien de consanguinité existant entre les personnes d’une population.

Ceux que la génétique ne pationne pas peuvent sauter les deux paragraphes suivants s'ils ont entendu parler des gènes ou même passer plus loin.

La consanguinité biologique est un phénomène complexe qui est résumé ici de façon très simple, voire caricaturale (nous nous limitons au cas autosomique avec la mansuétude des généticiens !)

L’hérédité d’une personne est déterminée par les gènes qu’elle porte sur ses 46 chromosomes répartis en 23 paires. Chaque paire (sauf une pour les hommes) est constituée de deux chromosomes parallèles portant chacun des dizaines de milliers de gènes connus (ceux ayant des positions identiques sur les deux chromosomes, constituent un locus pour traduire leur emplacement commun et sont dits homologues). Un chromosome est issu du père, l’autre de la mère. Ainsi, deux individus ayant un ancêtre commun peuvent-ils donner à leurs enfants un locus contenant deux gènes identiques en héritage de cet ancêtre. La réalité peut être encore plus complexe si l’ancêtre commun a lui-même hérité deux gènes homologues identiques d’un de ses propres ancêtres.

Le coefficient de consanguinité fxy entre deux personnes x et y

Il traduit la parenté génétique existant entre deux personnes x et y quelconques qu’elles soient mariées entre elles ou non, de sexe différent ou non. Il mesure la probabilité qu’ont un gène quelconque de x et le gène homologue de y de provenir d’un ancêtre commun. Comme toute probabilité, fxy varie donc de 0 si x et y n’ont aucun ancêtre commun à 1 dans le cas de deux vrais jumeaux… ou de deux clones.

Le coefficient fz d’un individu z

Il représente la probabilité, pour une personne z issue du couple x-y, que deux gènes homologues quelconques proviennent d’un ancêtre commun à x et y, l’un par sa mère, l’autre par son père, et soient identiques. On déduit que fz est égal à fxy des parents x et y de z.

Le coefficient moyen de consanguinité fm d’une population

Il traduit la probabilité pour un individu pris au hasard dans la population que deux de ses gènes homologues quelconques soient identiques. De cette définition il s’ensuit que fm se calcule comme la moyenne des fx de tous les individus de la population. Cette valeur caractérise donc l’intensité moyenne de la consanguinité de la population.

Il existe de nombreuses raisons susceptibles d'avoir une incidence sur l'intensité de la consanguinité. Certains de ces facteurs ont très probablement une influence à Fontcouverte.

Quant aux calculs des coefficients de consanguinité, ils sont assez complexes et longs.

Les valeurs des coefficients de consanguinité à Fontcouverte

Les valeurs des coefficients fxy et fz

Le calcul préalable des coefficients fxy de tous les mariages connus détermine les fz de tous les enfants issus de ces mariages.

Ainsi ont été déterminés 1204 valeurs de fxy en remontant sur éventuellement 15 générations. Il en est découlé les valeurs des coefficients fz de 5 375 personnes.

Ces calculs se heurtent au problème des personnes dont on ne connaît pas les parents soit :

Nous avons considéré, suivant les habitudes démographiques courantes, que ces personnes aux parents inconnus ont un coefficient fz nul (comme s'ils arrivaient de la planète Mars ou plutôt d'autant de planètes différentes !) ce qui est souvent une bien mauvaise estimation, en particulier dans le cadre étroit de Fontcouverte.

Le calcul des coefficients fxy, avec la recherche qu'il implique de toutes les boucles liant les époux x et y à leurs divers ancêtres communs, permet par exemple :

Les valeurs du coefficient fm caractéristique de la consanguinité moyenne de Fontcouverte

Les valeurs de fm ont été déterminées par moyenne des fz sur des périodes décennales et sont représentées par la courbe noire du graphique ci-contre. Celui-ci révèle des variations très fortes dans le temps.

L’interprétation de ces variations a nécessité l’élaboration d’un modèle tentant de représenter l’évolution qui pourrait être attendue sous certaines conditions : influence de l’hypothèse de nullité de fz pour les personnes dont on ne connaît pas les parents, incidence des contraintes imposées, en particulier par l’Eglise, sur les liens de consanguinité.

Les courbes rouge et verte donnent la variation de fm simulée en appliquant les contraintes canoniques :

Il apparaît clairement que :

A en croire une simulation qui a été réalisée, l’influence du droit civil particulièrement tolérant à partir de 1861 semble être faible et incapable d’expliquer la forte hausse de fm d'ailleurs antérieure à 1861. Tout se passerait alors comme si c’était l’augmentation du nombre de mariages à consanguinité relativement élevée à l'intérieur de la communauté fontcouvertine qui interviendrait sur la moyenne. On est tenté de rapprocher ce fait de l’accroissement très important du taux de célibat définitif observé à partir de cette époque. Une crise de la nuptialité interviendrait-elle, limitant la proportion des personnes susceptibles de se marier, celles-ci ayant tendance à convoler avec des conjoints plus consanguins ?

L'hypothèse fz = 0 des personnes de parents inconnus, manifestement erronée à la vue des résultats précédents, ne peut pas être levée de façon pertinente. On pourrait, par exemple, prendre pour fz la valeur asymptotique postérieure aux années 1800 mais rien ne prouve que ces valeurs ressemblent à celles existant dans la population de Fontcouverte au XVIe siècle (population plus réduite et soumise à des contraintes sociales que nous connaissons mal).

Quant aux valeurs de fm, il est difficile de tenter une comparaison avec des valeurs plus régionales, voire nationales après 1861, que nous avons trouvées dans la bibliographie, dans la mesure où ces résultats globaux donnés par les démographes ne remontent pas avant le début du XXe siècle. Ces résultats ont été obtenus par analyse des dispenses données par les diocèces français (limités aux liens de dégré 4 - entre cousins germains soit au degré 2 canonique) sans tenir compte des liens plus complexes susceptibles d'induire une consanguinité accrue comme nous l'avons fait. Si l'on calculait ainsi la consanguinité à Fontcouverte, elle serait strictement nulle au moins jusqu'en 1861 et guère plus élevée ensuite !

Toutes choses égales par ailleurs, les résultats des démographes stigmatisent nettement la Savoie... qu'en était-il de la Maurienne et de Fontcouverte ?

On note dans la bibliographie les valeurs récentes suivantes :

fm 1925 - 1930 1936 - 1940 Rapport
France 0,000856 0,000567 8
Savoie 0,00150 0,00075 à 0,00104 4 à 5

La colonne Rapport traduit le quotient de la consanguinité à Fontcouvert en 1930, estimée à 0,007, à celles des régions mentionnées.

La Savoie fait partie, pour les deux périodes, des départements à consanguinité la plus forte de France. La consanguinité à Fontcouverte est certainement très nettement supérieure à la moyenne savoyarde... on n'est pas à Chambéry ou même en Savoie Propre en 1930 !