Fontcouverte
 

L'intensité de la mortalité pesteuse de 1630 en Maurienne

L'étude de Mgr Billiet de 1837.

Concernant la définition de la proportion de la population de Maurienne morte de la peste en 1630, nous ne connaissons que la tentative de Mgr Billiet. Y en a-t-il eu d'autres ? Nous en doutons.

Malheureusement, l'évêque n'a pas précisé les conditions dans lesquelles ont été établis les nombres qu'il donne. Il semble qu'il aurait utilisé :

Après rajout de Lanslebourg, l'évêque donne les valeurs suivantes issues de son échantillon paroissial : population 40759, décès 3403 soit un taux de mortalité de 8,3 % qu'il compare au taux de 2,7 % du début du XIXe siècle, soit un triplement (si l'on retranche à 8,3 les 2,7 % de la mortalité naturelle le taux de mortalité pesteuse serait de 5,6 %). Il s'agit là d'ordres de grandeur très approchés compte tenu d'anomalies évidentes sur certaines valeurs admises (les populations de certaines paroisses sont anormalement exagérées, résultant d'un calcul que nous pensons connaitre (dont l'application est très douteuse) et encore du fait que la base de temps de l'étude est une année complète dépassant la durée de l'épidémie et incorporant nombre de décès naturels de la période non pesteuse et surtout du fait que Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Michel-de-Maurienne et Aiguebelle sont hors du champ d'étude.

Notre étude plus approfondie mais encore très incertaine.

Nous avons repris la lecture des documents des archives sans espoir de l'améliorer, l'évêque ayant eu certainement un accès plus correct que nous aux dossiers et utilisant ses connaissances du diocèse. Mais la base de données ainsi acquise permet un traitement informatique.

Alors, avons‑nous tenté, dans toute la mesure du possible, de filtrer les informations concernant la seule période pesteuse telle que présentée pour les 40 paroisses dont 39 seulement sont utilisables à fin de détermination du nombre des morts pesteuses (exclusion de Jarrier). Pour ne pas alourdir notre texte les détails précis des difficultés rencontrées et des hypothèses faites sont précisés dans un texte particulier.

Pour chaque paroisse l’étude aborde ainsi les phases suivantes :

Elements pour déterminer
←  le nombre global des morts
et le nombre des pesteux  →

Les procédés que nous avons dû utiliser pour corriger cette carence impactant les deux derniers points ne sont pas sans limitations.

L'expérience montre que, sauf cas particuliers de paroisses peu atteintes, les morts pesteuses représentent la très grande majorité des morts totales en période épidémique (généralement plus de 90 %).

Tous les calculs restent strictement impossibles pour à peine moins de 60 % des paroisses du diocèse. Aussi faut‑il encore admettre que les résultats des calculs précédents, après un tri correct des paroisses à prendre en compte, sont applicables avec certaines précautions aux autres.

Les taux de mortalité pesteuse des paroisses

Gardant à l’esprit que le calcul du taux de mortalité pesteuse d’une paroisse est souvent une opération incertaine, on doit encore noter que des paroisses du diocèse de Maurienne restent, en nombre important, totalement indéterminables à la vue des archives disponibles. Avec toutes les précautions nécessaires, une vision d’ensemble des paroisses utilisables, est cependant possible.

Le mieux est de représenter la synthèse des résultats paroissiaux sur une carte de la vallée de la Maurienne.

Le graphique ci-contre est un schéma très simplifié de la vallée de l’Arc coulant vers le haut jusqu’à l’Isère. Les lacunes des archives sont évidentes, ne serait-ce que celles de Saint-Jean-de-Maurienne , de Saint Michel-de-Maurienne et des paroisse entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane ainsi que de celles situées près de l’Isère. Mais ces lacunes se répartissent plutôt régulièrement dans la vallée.

Le taux estimé de chaque paroisse est représenté par un cercle dont la surface est proportionnée au taux de mortalité suivant l’échelle jointe à la carte.

Manifestement les taux de décès les plus importants sont relevés dans les paroisses situées au fond de la vallée, 46 % à Modane, 39 % à Aiguebelle, 31 % à Lanslebourg, 25 % à La Chambre. Sans donner des informations numériques, les archives montrent clairement que Saint-Jean-de-Maurienne et Aussois seraient très probablement dans un cas identique. Il pourrait en être de même à Saint-Michel-de-Maurienne dont les situations géographique et démographique sont voisines de celles de Saint-Jean-de-Maurienne. Beaucoup de paroisses se trouvent entre 10 et 20 % mais des villages en nombre non négligeable n’atteignent pas 5 %, certains semblant même épargnées.

On peut noter que le taux n’a pas de relation nette avec le volume de la population des paroisses. Comparons par exemple Modane avec 950 habitants et un taux de 47 % à Fontcouverte qui aurait 1200 âmes et un taux de 5 %, voire 4 %, suivant les archives utilisées. De même, en dehors des paroisses du fond de la vallée, les taux se répartissent de façon très aléatoire en fonction de la position géographique des groupements humains. On confirme ainsi les remarques de Jean-Noël Biraben affirmant que la propagation de la peste dans un village est soumis à des facteurs de diffusion dont certains n’entrent en jeu qu’aléatoirement ou dans des conditions bien déterminées.

Estimation globale des pesteux dans le diocèse.

Le problème est de déterminer le nombre des décès pesteux dans différentes catégories de paroisses caractérisées par leur degré de connaissance qu'on en a de ce nombre. Les lignes précisées dans le paragraphe suivant sont celles du tableau ci‑dessous.

Le tableau ci-dessous précise les caractéristiques des différentes catégories de paroisses avec pour chacune d'elles :

Catégories Nombre de paroisses Population Poids Nombre de morts pesteux Taux de morts pesteuses
O    « Maurienne profonde » 35 21480 40,3 % 1725 8,0 %
A    Paroisses à pesteux calculables 37 22909 43,0 % 2351 10,9 %
B    Paroisses à morts estimés à 37 % 3 4050 7,6 % 1404 34,7 %
C    Paroisses à nombre de pesteux extrapolés sur O 57 26280 49,3 % 2110 8,0 %
Ensemble du diocèse de Maurienne (A+B+C) 97 53239 100,0 % 5865 11,0 %

Le tableau montre clairement l'importance des hypothèses faites :

Globalement il apparaît, d’après les archives et les résultats des calculs, que la mortalité pesteuse en 1630 s’élèverait à 11 % de la population du diocèse de Maurienne.

Il est difficile d’encadrer cette valeur par un intervalle de confiance dans la mesure où les causes d’erreurs sont nombreuses, mal identifiées, d’influence très variable et plus ou moins indépendantes.

Aucune corrélation nette ne peut‑être établie entre le nombre de morts pesteux d'une paroisse et la volume de sa population.

Nous avons testé les hypothèses qui peuvent l’être et qui risquent d’introduire les biais les plus importants.

Hypothèse de 37 % des morts toutes causes confondues

Les calculs ont été repris dans l'hypothèses de 50 % qui parait peu plausible et d’ailleurs infirmée par les calculs possibles à Aiguebelle (37 %) que la bibliographie place pourtant au voisinage de Modane (47 %) et dans l’hypothèse de 25 % qui pourrait être dépassée mais moins irréaliste que la précédente.

Les taux de mortalité pesteuse sont alors les suivants.

Hypothèse 25 % Hypothèse 37 % Hypothèse 50 %
10,2 % 11,0 % 11,9 %

Incertitude de détermination du volume de la population

La sous‑estimation de 6 % du volume de la population de l’arrondissement de Saint-Jean-de-Maurienne que nous trouvons dans le traitement des archives comparativement à la valeur donnée par la bibliographie vers 1800 conduit logiquement à une surestimation du taux de mortalité. On sait que le volume de la population de la Maurienne a peu évolué de 1630 à 1800 sous l'effet d'un plafonnement d'ailleurs bien reconnu à Fontcouverte. Appliquant alors la correction de 6 % à la population hors arrondissement, il apparaît les valeurs suivantes des taux.

Hypothèse 25 % Hypothèse 37 % Hypothèse 50 %
9,6 % 10,3 % 11,2 %


Une estimation du taux de mortalité pesteuse en Maurienne en 1630 de 11 % parait un ordre de grandeur acceptable, au pire dépassé de quelques %.


Malgré toutes ces difficultés et imprécisions nous pensons pouvoir avancer avec prudence que la proportion de la population du diocèse de Maurienne morte de peste dans l’année 1630 serait de l’ordre de 10 à 12 %, chiffre largement dépassé dans les paroisses à habitat resserré de la vallée de l'Arc (46 % ou plus à Modane, 37 % à Aiguebelle). Ce taux apparait comme relativement élevé puisqu'il représenterait 20 % de la mortalité observée deux siècles et demi plus tôt lors de la première grande vague de la Peste Noire.

Par ailleurs, les archives n'excluent pas quelques manifestations pesteuses réduites dès 1629 (en particulier une, importée à Aussois depuis Lyon largement contaminé dès 1629), d’autres se poursuivant en 1631, voire début 1632 (Fontcouverte).