Fontcouverte
 

Les morts dans le temps de l'épidémie et l'espace de la paroisse

Les archives du comité de santé et celles d'état civil offrent la possibilité d'avoir une idée relativement précise du mode de propagation de la peste dans Fontcouverte en 1630 ‑ 1632. Une analyse de l'évolution de l'épidémie est ainsi possible, au moins grossièrement, tant dans le temps que dans l'espace de la paroisse, propagation qui s'éloigne largement de l'idée qu'on se fait habituellement d'une épidémie générale comme celle de la Peste Noire et ses hécatombes de nos livres d'histoire.

Répartition des décès dans la durée de l'épidémie.

Le graphique suivant donne, en fonction du temps et pour chaque jour de la période pesteuse, les morts rapportées par les archives en distinguant les diverses causes identifiables.

Répartition des morts au cours de l'épidémie (utiliser l'ascenseur horizontal pour faire défiler le temps).

L'histoire de la peste à Fontcouverte commence officiellement le 14 août 1630. Il est cependant possible que de rares cas pesteux apparus plus tôt, dès juillet, aient existé.

L'épidémie se répand d'abord jusqu'en décembre 1630, le dernier cas étant du 3 janvier 1631. Les décès des 16 décembre 1630, 19 et 24 janvier 1631 correspondent en fait à des décès au cours d'épreuves de maisons infestées plus tôt. Le reste de l'année 1631 ne montre plus aucun cas de peste. Mais le mal réapparaît par 4 cas en janvier et février 1632 auxquels il faut ajouter 2 décès de personnes venues tardivement nettoyer une maison ou en assurer l'épreuve.

En août et septembre 1630, une épidémie de courte durée, probablement de dysenterie, se superpose à celle de peste à en croire les diagnostics peu assurés du comité de santé. La date (août et septembre) de cette épidémie, sa courte durée et le fait qu’elle n’atteint pratiquement que des enfants de moins de 15 ans feraient que cette hypothèse soit très crédible et doive rendre très prudent sur le nombre exact des morts de peste à cette époque. Ces morts dysentériques ne sont pas distinguées dans la bibliographie.

On peut enfin noter le nombre relativement très réduit des morts très probablement ou certainement naturelles à partir d’octobre 1630, la période d'août ‑ septembre 1630 ayant au contraire une mortalité naturelle relativement élevée (quelques morts pesteuses auraient elles pu échapper au comité de santé ?) La part très faible de la population prélevée auparavant par la peste sur l’ensemble de la population permet difficilement de justifier cette raréfaction. Le curé de la paroisse aurait‑il alors négligé d’enregistrer tous les morts connus du comité de santé et de lui‑même contrairement à son habitude ? La mortalité a, d'ailleurs, un côté tres aléatoire.

Répartition des décès dans les villages de Fontcouverte.

44 décès parmi les 46 imputés à coup sûr ou probablement à la peste sont pratiquement localisables dans la paroisse. Ce nombre tient au fait que les archives donnent directement ou indirectement le lieu de décès. Un problème existe cependant pour les décès qui ont lieu en cabane sans précisions du lieu de résidence du séquestré soit 8 cas. 2 concernent de jeunes enfants dont les parents sont morts à Albiez-le-Vieux bien que semble‑t‑il Fontcouvertins. Pour les 6 autres, le village d’origine a pu être établi en considérant l’épisode pesteux dont ils font partie et dont on connaît la localisation. Ces cas sont alors traités sur la base de ce lieu d’origine très probable.

La carte ci‑contre donne la répartition des décès pesteux certains et possibles par villages. La surface des cercle est proportionnelle au nombre des décès.

Glisser la souris sur un cercle pour obtenir le nom du village, le nombre de morts et le nombre de maisons atteintes..

Par ordre décroissant du nombre de morts par localisation la statistique suivante peut être établie.

Localisation Nombre de morts Proportion du total (%) Nombre de maisons atteintes
Le Villard (dessus et dessous) 11 24,0 3
Riortier dessous 7 15,2 3
La Tour du Pra 5 11,0 1
Les Anselmes 5 11,0 3
Pierre Pain 4 8,7 1
L'Eglise 3 6,5 2
Le Rosey 3 6,5 2
Dans les montagnes 2 4,3 2
Cabanes non localisées 2 4,3 1
La Rochette 2 4,3 1
La Tour de Paradis 1 2,2 1
Mollard Pingon 1 2,2 1
Total 46 100 21

Le nombre de morts de peste dans les divers villages de Fontcouverte en 1630 ‑ 1632 est un fait objectif peu contestable mais il est de façon évidente trop faible pour être « statistiquement représentatif » de la diffusion de la maladie sur l'ensemble du territoire de la paroisse. Une répartition notablement différente aurait bien pu advenir sous « l’effet papillon » des évènements à caractère « chaotique » ou plutôt sous « l’effet puce » ! Un cas caractéristique est celui du très petit village de la Tour du Pra qui donne 5 morts dans la seule maison de deux frères alors qu’il aurait pu tout aussi bien être indemne. Il est globalement clair que le nombre de morts dans un village n’apparait pas corrélé au volume de sa population. Il dépend certainement d’abord des occurrences de contagion possibles par des apports externes au village qu’ils soient de l’extérieur de la paroisse ou entre villages et très secondairement des risques de contagion entre maisons voisines, les mesures de séquestration du comité de santé n’étant certainement par étrangères à ce fait. L’étude des épisodes familiaux ne permet pas de traquer ces échanges inter villages mais elle montre que les morts d’un village se répartissent dans un nombre très réduit de maisons, souvent une seule, plus rarement trois au Villard, à Riortier dessous et peut‑être aux Anselmes, épisodes souvent trop distants dans le temps pour admettre une contagion de proximité.

Malgré tout, et quelle que soit leur signification réelle, on peut, mentionner les points suivants.

Les deux villages du Villard, que les archives ne permettent pas de différencier, regroupent à eux seuls le quart des décès (il s’agirait principalement de Villard dessous). Si l’on ajoute La Tour du Pra et Les Anselmes, le groupe des villages centraux contribuent pour 50 % aux décès. Plusieurs épisodes s’y succèdent qui ne sont peut‑être pas totalement indépendants. Curieusement, le village voisin, celui de l’Eglise, malgré sa population et les nombreux passages dont il est le lieu n’est que peu atteint si ce n’est symboliquement par des enfants de deux familles de notaires.

En bas de la paroisse, et à proximité relative de Saint-Jean-de-Maurienne, Riortier dessous et Pierre Pain constituent de leur côté un quart des décès, Riortier dessous se singularisant pour être le seul lieu de reprise d’épidémie en 1632.

Le gros village de La Rochette n’est que le siège de décès ponctuels liés à des personnes de familles contaminées d’autres villages, qui y ont aussi une habitation.

Les très petits villages ne regroupant que quelques maisons et souvent très isolés semblent généralement épargnés. Le cas du Rosey, avec une famille atteinte (à laquelle on doit ajouter un habitant de Villarembert isolé), semble être une exception ponctuelle en relation possible avec sa proximité de Villarembert. C’est d’ailleurs le seul cas mentionné au sud du Merderel.

La contagion entre épisodes domestiques

Les archives du comité de santé ne se prêtent vraiment pas à la recherche des modes de transmission de la peste. Le premier article d’un épisode donne le premier mort sans, naturellement, préciser où et par qui le mort a été infesté. La suite de la contagion ne peut être reconnue que dans la famille et donc la maison infestée. Les mises en cabane consécutives aux décès n’apportent pas d’éléments nouveaux si ce n’est, éventuellement, une contamination entre cabanes ce qui n’est pratiquement jamais mentionné. Les séquestrations sont plus intéressantes dans la mesure où elles permettraient de rechercher une trace de contamination compatible avec la dispersion géographique des lieux et les délais nécessaires à la contamination. Mais nous ne connaissons pas exactement la liste des maisons des villages ni la plupart de leurs habitants et il faut tenir compte du délai séparant deux contagions. Par exemple, la mort de Pierre fils du notaire Louis Claraz engendre, en début des archives, les séquestrations de 12 pères ayant fréquenté la maison du notaire les jours précédant ou suivant la mort de Pierre, séquestrations englobant la plupart du temps leurs familles. Une seule de ces familles a donné des morts pesteuses, celle des frères Philippe et Michel Claraz de La Tour du Pra. Mais le délai de 2 mois entre les deux épisodes ne permet pas de les relier.

Par ailleurs, les archives ne traitent pas de façon exhaustive chaque épisode : manifestement les enregistrements des articles sont très souvent incomplets, en particulier leur fin est généralement inconnue.

La propagation de la contagion est donc assez simple à suivre dans chaque famille. Celle dans le village serait parfois possible quand il s’agit de maisons parentes. Elle est pratiquement impossible entre villages.

Nous avons ainsi pris en considération chacune des morts pesteuses connues et recherché les morts qui peuvent s’y rattacher, méthode qui élimine tous les cas d’infection n’entraînant pas la mort du moins à en croire les archives alors qu’ils peuvent temporairement propager la contagion (par leurs puces et des matières contaminées).

Au village de l’Eglise, les décès des deux familles de notaires très impliqués dans le dispositif de santé concernent des maisons dites voisines et entraînant certainement des contacts fréquents. Mais le délai de 4 mois séparant les épisodes les rendent a priori indépendants.

Les villages du Villard subissent plusieurs séquestrations et les maisons Augert sont multiples avec des contacts sans doute souvent possibles. Cependant la maison de François Augert a son dernier décès un mois avant le premier de la maison de Jean Augert. La contamination par voisinage direct est possible mais assez peu probable. Enfin la maison de Jean Vincent Adreyt subit le même éloignement temporel avec la maison de Jean Augert.

Au village des Anselmes, la maison d’Amédée Anselme Gaunoz peut tirer l’origine de son infection de la présence d’une fille contaminée venant d’Aiguebelle et qui aurait couché dans une montagne d’Amédée. Mais le fait n’est pas vraiment établi. L’épisode de la maison de François Anselme n’apparaît que 2 mois plus tard et donc sans liaison probable.

Au village de Pierre Pain, l’épisode de la maison de François Domenjon est d’origine inconnue et les archives ne signalent pas de contacts caractérisés après la mise en cabanes de la famille.

A Riortier dessous, l’épisode de la maison de Noé Collet en 1631 ne donne aucune indication sur son origine ni sur ses conséquences semble‑t‑il inexistantes. Par contre, en 1632, les épisodes des maisons de Jean Combaz et Michel Claraz sont pratiquement synchrones ce qui laisse des doutes possibles de contagion intervenant curieusement en janvier en l’absence de toute contagion à Fontcouverte depuis 9 mois. Mais Michel Claraz possède une maison à Riortier et également une à La Rochette où vivent sa femme et un fils Sébastien qui y meurt. Tenant compte du fait que Michel voyage plusieurs fois entre ses deux maisons y compris pendant sa période de mise en cabane au Plan d’Arvan, la liaison des deux épisodes est possible.

Au village du Rosey, la mort de Jean Louis Poingt et de son fils [Jean ?] peut être liée à la proximité de Villarembert où la peste sévit fortement avec un « contrôle aux frontières » difficile. On peut aussi remarquer que Jean Louis meurt de peste deux mois avant le fils [Louis] d’Antoine Girollet alors qu’il est serviteur chez celui-ci.

Au village de La Tour du Pra un seul épisode en fin 1630 affecte la maison des frères Philippe et Michel Claraz dont l’origine n’est pas connue mais ne semble pas avoir de conséquence locale à la nuance près que Laurent Gravier, beau‑frère des frères Claraz, contribue largement aux activités de la famille Claraz et meurt au Rafour. Ce serait, à notre connaissance, un cas possible d’exportation de la peste entre maisons si Laurent vit à La Tour du Pra, ce qui parait être le cas, ou entre villages si Laurent vit au village de l'Eglise, ce qui pourrait être possible (les deux villages sont d'ailleurs très proches).

Il reste le problème des apports pesteux de l’extérieur de la paroisse. Les archives du comité de santé montrent les craintes qu’il a de contagion venant de l’« extérieur ». Le seul cas clairement rapporté est celui de « la pauvre fille d’Aiguebelle », victime de la peste et errant dans les chalets et granges de montagne. Elle rencontre cinq ou six personnes qui gardent leurs troupeaux là-haut et qui lui parlent à distance. Elle couche de granges en granges. Les séquestrations imposées semblent arrêter toute contagion mais les textes rapportent qu’elle rencontre beaucoup plus de Fontcouvertins qu’il n’est décrit. De plus deux ou trois autres personnes seraient mortes sans qu’on le sache. Comment contrôler les forêts et les alpages ? Une autre crainte vient manifestement de Villarembert conduisant à des séquestres qui n’ont finalement peut‑être pas tous un caractère pesteux. Les cas des villages situés au bas de la paroisse comme Riortier dessous, Pierre Pain et les Rossières pourraient pousser à penser à une contamination venant de Saint-Jean-de-Maurienne. Malheureusement aucun fait ne permet d’affirmer cette origine de la contamination. Riortier dessous essentiellement atteint au début de 1632 reste indéterminé sur cette origine du fait du manque d’archives complètes à Saint-Jean-de-Maurienne sur ce sujet.

Une anadémie et non une épidémie à Fontcouverte

Une anadémie est pour les spécialistes des épidémies le résultat de la superposition dans l’espace et le temps de petites « éruptions » contagieuses très localisées mais en nombre suffisant pour que le nombre total des morts fasse penser qu’il s’agit d’une contagion globale.

L'analyse que nous avons faite de la propagation de la peste à Fontcouverte, avec ses épisodes localisés dans l'espace et le temps, pourrait correspondre, à sa petite échelle d'une paroisse mauriennaise, à la définition d'une anadémie d'ailleurs plutôt réduite grâce à la dispersions des habitations et au travail d'isolement du comité de santé. On ne voit pas des rats courir de maison en maison et encore moins de village en village connaissant leurs habitudes plutôt sédentaires. Ce ne sont pas non plus les puces qui sauteraient dans la campagne. Ce sont bien plus probablement les habitants se déplaçant dans Fontcouverte, voire ceux des paroisses avoisinantes, qui colportent de façon presque aléatoire des puces, des vêtements ou des matériaux infestés.

La situation de Fontcouverte s'oppose donc radicalement à celles des paroisses à l'habitat très resserré de la vallée de l'Arc comme Modane et Aiguebelle où l'épidémie profite de la proximité des maisons, voire la promiscuité des personnes, ce qui facilite la transmission par les rats ou par contacts directs, pour se généraliser et ravager une grande partie de la population.

Une fois de plus dans son histoire Fontcouverte aura profité de la dispersion de sa population et de son relatif isolement dans ses montagnes pour éviter, en partie au moins, une catastrophe humanitaire comme les connaissent des paroisses de la vallée de l'Arc.

Pour appuyer cette hypothèse de contagion anadémique et apprécier le travail du comité de santé à Fontcouverte nous proposons de regarder en détail certaines de ces « éruptions » pesteuses que nous appelons épisodes pour en connaître le déroulement exact.