Fontcouverte
 

La survie à Fontcouverte pendant l'épidémie de peste

Bien que la peste soit arrivée seulement 43 ans après le début des archives de l’état civil, nous avons pu identifier 66 % des morts portés dans les archives du comité de santé et ainsi établir de façon satisfaisante, à partir de la structuration de la population, les relations qui lient ces morts à leurs familles. Ajoutant les lieux où les évènements se produisent tels que donnés par les archives du comité de santé, il est alors possible d’avoir une certaine idée de la vie à Fontcouverte en période pesteuse, vie certainement complexe et contraignante du fait des mises en cabane et des séquestrations des maisons ou des villages entiers. On peut en effet retracer les évènements traversés par les familles victimes de la peste, ceux de leurs voisins et amis. On comprend un peu les désordres provoqués dans les familles par les mises en cabane et la longue succession de plusieurs mois de séquestres provoquant les séparations des familles sans que celles‑ci en connaissent l'issue.

Sortie de cabanes le 17 octobre 1630 et
mise en quarantaine de santé de la famille Domenjon

Prenons l'exemple d'une partie très mineure des contraintes imposées à la famille Domenjon suite au décès le 3 septembre 1630 de Jenette veuve de François.

« Dudit jour et an [17 octobre 1630] Urbain, Marguerite et Jenette enfants à feu François Domenjon de Fontcouverte sont sortis de leurs cabanes ayant parachevé leur quarantaine et se sont lavés et changés d’habits en présence d’honnête Michel Claraz Bonnel commis du village de Pierre Pain et de Claude Vincent, lesquels ont été remis à une maison appartenant aux hoirs à Jean Domenjon étant aux […] pour iceux faire la dite quarantaine de santé à la forme de la résolution prise en la présente paroisse de Fontcouverte le treizième du présent mois d’octobre et ensuite de l’ordonnance […] baillée par le S Duverney intendant de la santé rière la présente province de Maurienne et en foi de ce me suis soussigné. »

Les contraintes durent depuis un mois et demi en cabane et ce n'est pas fini... il faut encore faire une quarantaine de santé et, après deux échecs, faire à nouveau nettoyer et éprouver la maison familiale !

Au plan matériel et relationnel, les simples séquestrations réduisent largement les contacts habituels que les Fontcouvertins entretiennent entre eux. Etre séquestré implique un isolement préjudiciable à la vie courante. Les contraintes induites sont difficiles à apprécier mais sont certainement réelles au point que dans certains cas où une maison est quelque peu isolée, l'autorisation lui est donnée de vaquer à ses occupations habituelles dans les prés et les champs voisins de la maison. Dans les cas plus difficiles, il arrive que des familles ne peuvent même plus nourrir leur bétail obligeant certains habitants à tenter des fuites nocturnes rapidement réprimées. On doit cependant remarquer qu'à chaque instant, très peu de maisons ou de villages sont séquestrés simultanément, ces derniers l'étant généralement pour une dizaine de jours seulement.

Un point important est constitué des difficultés de déplacements. Elles ne sont pas aussi contraignantes qu’on peut l’imaginer. La liberté semble assez grande dès qu’il ne s’agit pas des villages, des maisons ou des personnes séquestrés... on se rassemble toujours pour la messe dominicale ! En cas d'infraction, la surveillance des gardes, voire la dénonciation de voisins qui n’ont pas envie de voir la peste arriver chez eux, est grande. Tout manquement aux règles imposées est rapidement géré. Un cas particulier est celui des déplacements des membres du comité de santé qui doivent pouvoir aller partout, en particulier près des maisons susceptibles d’être infestées. On ne connaît aucun cas de contagion de ces personnes (seul le fils Louis d’Antoine Girollet secrétaire meurt de contagion peut‑être du fait de la fonction de son père). Mais les syndics doivent également se rendre à Saint-Jean-de-Maurienne pour s’entretenir avec le magistrat de la santé de Maurienne ou rechercher des nettoyeurs… et ils doivent souvent le faire.

Il arrive de percevoir l’entraide qui peut s’exercer auprès des personnes démunies : fourniture de matériaux pour la construction des cabanes, prise en charge du bétail des personnes séquestrées, accompagnement de personnes en cabane devant traverser la paroisse pour régler des affaires urgentes, enterrement des morts et parfois assistance des familles éprouvées, services généralement accompagnés d'une rétribution. Mais il y a aussi l’hostilité des personnes qui se sentent gênées par leurs voisins, des marques de bonne ou de mauvaise foi.

Deux évènements rassemblant beaucoup de monde ne rompent pas les habitudes. Il s’agit de la convocation des communiers pour prendre rapidement d’importantes décisions comme la nomination de syndics et conseillers en remplacement de ceux qui viennent à être séquestrés. Ces réunions se font comme à l’accoutumé le dimanche sur la grande place commune du village de l’Eglise au sortir de la messe. Et il s’agit donc aussi de la grande messe dominicale de 10 heures rassemblant en principe tous les paroissiens du moins s’ils ne sont pas séquestrés. Les prières doivent remplacer l’asepsie ! Voilà deux belles occasions pour échanger entre villages quelques bacilles pesteux.

L'enterrement des personnes décédées est un acte important à faire dans les meilleurs délais. Si la personne est morte naturellement de façon sure, l'enterrement peut se faire exceptionnellement au cimetière et c'est certainement un grand soulagement pour les parents mais il est précisé que la cérémonie se fait « sans passer par l'église ». Dans tous les autres cas de mort pesteuse ou suspecte l'inhumation se fait au voisinage de la maison du défunt ou près de la cabane où le mort est décédé. Barthélémie Claraz est pendant tout le début de l'épidémie l'« enterreuse » de la paroisse. Par la suite, les inhumations sont très souvent réalisées par les parents du défunt.

La nomination et la gestion des gardes des maisons ou villages séquestrés paraissent généralement assez simples bien que le salaire prévu soit faible, 10 à 15 sous par jours. Plusieurs candidats en recherche d'un petit revenu peuvent se présenter mais, inversement des gardes abandonnent leur fonction en cours de contrat. La fonction de garde peut ne comporter que la charge de contrôle de l'absence d'allers et venues dans la maison mais il peut aussi comprendre le règlement de questions matérielles comme la nourriture des séquestrés. Le salaire est dans ce dernier cas plus élevé.

Jean Combaz remporte l'adjudication de
la garde aux Pierres Blanches

Voici comment se passe l'« appel d'offre » très officiel pour le recrutement d'un garde. Il donne ici lieu à deux propositions mais il peut y en avoir plus. L'image de l'article un peu long est tronquée mais on sait que, au nom de la communauté, les syndics attribuent à Jean Combaz le marché pour seize sous par jours. « Desdits an et jour ayant été publié au prône de la messe paroissiale à qu’il plairait de faire la garde ordonnée aux Pierres Blanches pour le soin de la santé s’est présenté honnête Colomban Boisson lequel s’est offert faire faire ladite garde à Gaspard son fils sous le salaire de dix huit sous par jour. Et d’autre part s’est présenté honnête Jean Combaz dudit Fontcouverte qui s’est offert faire ladite garde pour un mois à raison de seize sous pour chaque jour à commencer demain 27 d’octobre 1630 et en outre a promis s’y faire après épreuve une cabane audit lieu des Pierres Blanches... ».

On peut penser que le site des Pierres Blanches se trouve vers La Toussuire. Il s'agirait d'un poste mis en place pour contrôler les arrivées indésirables en provenance de la haute vallée de l'Arvan. L'affectation de gardes successifs est attestée par un document de la cure.

La recherche de « nettoyeurs » est une tâche difficile des syndics et conseillers. Ces spécialistes de la « désinfection » sont rares et il faut aller les trouver dans les paroisses voisines de la vallée de l'Arc, voire plus loin et même en Dauphiné. Si un échec survient dans la désinfection d'une maison il faut éventuellement décider de rechercher d'autres nettoyeurs réputés plus sûrs.

Examen de santé de Christophe Cornu
pour mise en épreuve d'une maison

Encore, trouver une personne pour « éprouver » une maison qui a été nettoyée est parfois une opération difficile. Le prix de la prestation n’est pas connu, le risque de décès l’est beaucoup mieux car il est très élevé. Les personnes retenues par le comité de santé ou les parfumeurs sont généralement jeunes, souvent des filles, et reconnues comme exemptes de tout symptôme de peste. « Du 30 Xbre 1630 Jean Pierre fils à feu Christophe Cornu a été mis pour épreuve à la maison de Jean Vincent Adreyt après avoir été visité tout nu par honnête Jean Baptiste Chaudet, Jean Baptiste Boisson et Me Jacques Chaudet commis ne lui ont […] avoir sur son corps aucune tache ni glande comme Me Chaudet a rapporté ». Christophe Cornu est ausculté en détails mais le diagnostic ne porte que sur des symptômes externes et très tardifs.

En 1630 ‑ 1631, les morts par peste (hors morts en épreuve des maisons) sont mentionnées dans le journal de santé entre le 14 août 1630 et le 3 janvier 1631 mais les séquestres et quarantaines sont rapportés jusqu'en décembre 1631. En 1632, les morts par peste apparaissent dès le 6 janvier mais les derniers évènements rapportés s'étendent jusqu'en mai.

Ce sont donc pratiquement deux années consécutives de contraintes que les Fontcouvertins subissent du fait de la peste.