Non-dits ou
« identité sociale » contre « identité
administrative » ?
Pour ne pas perdre courage, ou tout simplement pour ne pas perdre pied, mieux vaut aborder l'analyse des actes en commençant par la fin, l'époque récente. Ici la rédaction est claire, assez bien écrite, en français et riche en informations de personnes et de dates, informations qui apparaissent vite comme surabondantes dès que la collection des actes traités devient importante.
Pourtant, autrefois, l'évêque et son vicaire général ne manquaient pas de rappeler aux curés, lors de la remise annelle de la copie des actes à l'occasion du synode diocésain et lors des visites pastorales, de faire un effort pour améliorer leur rédaction. Les bonnes résolutions prises n'étaient suivies que d'un effet très temporaire... Bien qu'admettant le côté fastidieux des écritures et recopies d'actes au cour de l'année justifiant bien des défauts rédactionnels, on est poussé à rechercher une raison plus profonde à la rédaction systématiquement parcimonieuse des vieux actes en distinguant :
Y aurait-il alors des « informations cachées », en tout cas non écrites, d'autant plus implicites qu'on remonte dans le temps, en particulier au XVIe siècle et dans les trois premiers quarts du XVIIe ? A cette époque, toutes les habitudes sociales établissaient classiquement, semble-t-il, trois stades dans la vie d'une personne, phases successives que l'on retrouve dans les coutumes de la vie locale :
A cette distinction s'ajoute celle du sexe avec un statut social inférieur pour la femme. Si un homme se suffit à lui même pour se positionner dans la paroisse, une femme doit toujours se rapporter à un homme, son père si elle est célibataire, son époux dans le cas contraire. Admettant que ces deux critères soient généralement suffisants pour positionner une personne dans la petite société de Fontcouverte, le curé pourrait alors ne mentionner que les traits nécessaires mais strictement suffisants pour caractériser une paroissienne ou un paroissien dans ses actes. Conséquences de cet état d'esprit dans les vieux actes.On peut résumer ainsi les références que doit avoir un titulaire d'un acte pour être caractérisé dans une définition sociale de l'identité.
On peut encore signaler que le titulaire est généralement noté par son seul prenom complété par les nom et prénom du référent. L'absence de référent pour un homme marié nécessite donc la notation du nom du titulaire. De plus il est souvent précisé :
Des absences apparentes d'informations sont donc la trace du statut social de la personne mentionnée, bien souvent d'une indication de son âge approximatif… et bien plus rarement d'une négligence du curé. Il existe bien sûr quelques exceptions à la règle auxquelles il faut porter attention.
Quelques exemples caractéristiques de rédaction d'actesPour les mariages, un acte rédigé ainsi
Pour les sépultures, un acte ainsi libellé :
alors que l'acte portant les mentions
Un exemple très simple mais réelLe cas suivant, très simple, en fait ici évident, mais souvent utile, est celui de l'application de ces principes à l'identification d'une marraine dans un acte de baptême pour améliorer la connaissance de la famille : ![]()
D'autres exemples plus complexes mais très éclairants
De l'usage prudent de l'identité socialeLe codage implicite de l'état social des personnes, qui semble très bien respecté jusqu'à la fin du troisième quart du XVIIe siècle, s'altère progressivement par la suite. Dès 1674, le Curé Claude Monod bouscule ces habitudes en ajoutant de nouvelles informations, le nom de la mère aux baptêmes en particulier, et semble moins à cheval sur les principes de ses prédécesseurs. Son successeur le Curé Jean Baptiste Favier introduit souvent le prénom du père d'une défunte mariée. Pour les parrains et marraines dont l'identité précise lui paraît moins importante que celle des parents du baptisé, la règle ancienne restrictive semble plus généralement conservée. ![]() ![]() A titre d'illustration plus précise de l'influence des curés et pour ce qui concerne le prénom du père dans les actes de décès, le graphique de gauche donne pour chaque année la proportion des actes de décès d'hommes mentionnant le prénom du père du mort. En ne considérant pas les actes antérieurs à 1600 qui ne sont que des copies d'actes incertains, il apparait que la quasi totalité des célibataires comportent ce prénom (un ou deux cas annuel font exception). Quant aux hommes mariés à leur décès, les proportions allant de 0 à 66 % correspondent à des cas où le nombre de morts est très faibles (66 % correspond à 2 cas sur 3 observés en 1649, 10 % à 1 cas sur 10). La règle de l'identité sociale est donc respectée avec une très forte probabilité mais s'effondre en 1733 avec l'arrivée du Curé Didier. A droite, le graphique équivalent pour les femmes montre le même phénomène mais la transition s'opère plus tard, en 1782, avec l'arrivée du Curé Roulet (encore que le Curé Didier prenne l'habitude, avant cette date, de mentionner quelques prénoms de pères au décès d'une femme mariée). L'identité sociale peut donc être utilisée efficacement jusqu'en 1673 puisqu'il pallie justement le manque d'informations formelles transcrites dans les actes et de façon plus critique jusqu'en 1782. Des traces de cette vision sociale des personnes transparaît longtemps dans l'esprit des curés successifs mais les informations « supplémentaires » devenues plus nombreuses troublent de plus en plus cette vision au fur et à mesure du temps jusqu'aux derniers actes en latin de 1837. La normalisation des actes sur formulaires pré-imprimés à partir de 1838 sonne le glas définitif de la conception sociale ce qui n'est pas sans créer de nouvelles difficultés dans l'identification des personnes, en particulier en ce qui concerne les parrains et marraines pour lesquels toute filiation disparaît. On retrouvera même des traces de cette vision dans les actes laïcs d'après 1861 où les informations surabondantes rendent leur interprétation inutile.
|