Fontcouverte
 

Le développement de l'épidémie de peste de 1630
dans la vallée de la Maurienne

L'habitude est généralement de penser que la peste est arrivée en Maurienne par sa partie supérieure au voisinage du col du Mont‑Cenis en fin juin ou début juillete 1630.

Les idées classiques

L'extension progressive de la peste en Maurienne a d'abord été énoncée par Mgr Billiet en 1837. Il précise que l'épidémie remonte à mai et juin 1630 s'étendant ensuite dans les mois de juillet à septembre en très peu de temps à toute la Maurienne depuis Modane jusqu'à Aiguebelle. Son origine serait la Haute‑Maurienne : Bramans, Lanslebourg, Sollière, Aussois, Modane.

A. Gros en 1946, reprenant Mgr Billiet, signale que la peste sévissait dès 1629 en Provence, dans le Dauphiné, le Lyonnais, la Franche Contée et le Valais. Elle n'aurait éclaté en Maurienne que les derniers jours de juin ou les premiers jours de Juillet (en omettant de préciser qu'il s'agit de l'année 1630 ambigüe avec 1629) et qu'elle aurait été apportée par les troupes qui revenaient du Montferrat où le fléau sévissait depuis une année.

N. Greslou en 1973, dans son livre « La Peste en Savoie » (en fait à Chambéry), se fait l'écho de A. Gros. Cependant, il interprète la date manquante chez A. Gros comme étant 1629, imprécision initiale du chanoine qui compliquerait la logique de propagation de la peste en Maurienne. Par contre, il détaille les pestes qui entourent la Maurienne en 1628 ‑ 1630. Le 30 août 1628 Lyon est mis au ban des Etats de Sa Majesté (de Turin), le 20 décembre 1628 c'est le tour de Genève, de la Bresse et du Bugey, le 15 août 1629 de Grenoble, Valence, Vienne alors qu'en octobre 1629 Annecy est atteint par la peste. En janvier 1630 seulement, tout le Milanais est dévasté par le fléau.

Développement de l'épidémie de 1630 en Maurienne d'après les archives épiscopales

Extension dans le temps de l'épidémie

Pour se faire une idée aussi objective que possible de la propagation de l'épidémie dans la vallée de l'Arc le plus logique est de reporter toutes les dates d'apparition de la peste que l'on peut estimer pour les paroisses qui permettent leur évaluation.

Du fait de l'imprécision possible sur les dates, celles-ci sont regroupées par quinzaines de jours. Chaque quinzaine donne lieu à une carte où sont reportées, avec une couleur spécifique, les paroisses atteintes dans la quinzaine avec leur nom, en superposition des paroisses atteintes les quinzaines précédentes ce qui constitue un petit film de cinq images seulement. Chaque image est "sous-titrée" d'un commentaire succinct.

Les cartes sont des schémas très simplifiés de la vallée de l’Arc coulant vers le haut jusqu’à l’Isère. Les lacunes des archives sont évidentes, ne serait-ce que celles de Saint Michel-de-Maurienne et de paroisses entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane ainsi que de celles situées près de l’Isère.

 Deuxième quinzaine de juin 1630  Première quinzaine de juillet 1630  Deuxiéme quinzaine de juillet 1630

La deuxième quinzaine de juin 1630. C’est l’arrivée de la peste près de l’Isère et dans l’extrémité inférieure du cours de l’Arc. Des dates plus précises donneraient le 2 juillet 1630 à Aiguebelle pour l’explosion de la contagion qui aurait pu cependant être introduite dès le 16 juin et à Notre Dame des Millières le 21 juin.

Lors de la première quinzaine de juillet 1630, la peste se généralise en Basse‑Maurienne (le cas de Saint-Jean d'Arves traduirait une précocité particulière due à une surmortalité présentant des caractéristiques probablement non pesteuses). Elle apparaît localement en Haute‑Maurienne à Modane où elle éclate le 7 juillet 1630 mais il n’est pas exclu que des individus apportant la peste soient morts le 21 juin.

Pendant la deuxième quinzaine de juillet 1630, la peste se répand en Basse et Moyenne‑Maurienne. La plupart des paroisses de Haute‑Maurienne à l’amont de Modane sont atteintes.

 Première quinzaine d'août 1630  Deuxième quinzaine d'août 1630

Au cours de la première quinzaine d’août 1630, la contagion gagne pratiquement tous les paroisses de Maurienne. L’absence d’informations sur Saint-Michel-de-Mauriennes et sur les paroisses voisines en direction de Modane ne permet pas de préciser où se situerait la limite entre les contagions de Moyenne et de Haute‑Maurienne.

Enfin, lors de la deuxième quinzaine d’août 1630, quelques paroisses encore épargnées sont atteintes localement.

Extension dans l'espace de l'épidémie

Du confluent de l’Arc et de l’Isère jusqu’à La Chambre le début de l’épidémie se situerait dans la première quinzaine de Juillet et même la seconde quinzaine de juin à Aiguebelle et dans la région des Millières. Se distinguent cependant Hauteville et Villard Léger ainsi que Montaimont éloigné de la vallée qui auraient subi une attaque tardive dans la première et la deuxième quinzaine d'août.

Entre La Chambre et Saint-Jean-de-Maurienne la peste serait apparu plus tardivement dans la deuxième quinzaine de juillet et la première d’août tant en rive droite que dans le pays des Arves (seul se distingue Saint-Jean-d'Arves par sa précocité qui pourrait être due à une progression d'abord lente de l'épidémie qu'on ne retrouve généralement pas ailleurs. S'agit‑il déjà de la peste ?).

De Saint-Jean-de-Maurienne à Modane exclu la peste se serait manifestée essentiellement dans la première quinzaine d'août. Se particularisent par une relative précocité Saint‑Julien, Montricher, Albanne atteints dans la seconde quinzaine de juillet, Valloire l’étant au tout début d’août.

La Haute-Maurienne à partir de Modane montrerait une atteinte précoce qui aurait eu lieu à Modane dès la première quinzaine de juillet (ainsi que peut-être Lanslebourg) s'étendant lors de la deuxième quinzaine, Lanslevillard ne succombant qu'en deuxième quinzaine d'août.

Dans chacune de ces zones, l'agglomération principale située dans la vallée est la première atteinte : Aiguebelle le 15 juin, La Chambre le 14 juillet, Saint-Jean-de-Maurienne le 18 juillet, Modane le 7 juillet. On peut noter qu’à Aiguebelle l’épidémie est certaine dès le 15 juin mais pourrait être antérieure. A Lanslebourg, le nombre des morts de l’épidémie se développe à partir du 29 juillet mais celle‑ci pourrait avoir été initiée le 4 juillet (à en croire les archives montrant une période pré-épidémique possible et une affirmation du Chanoine Gros dont on ne connaît pas l’origine). Entre les deux, Saint-Jean-de-Maurienne pourrait n'être atteint, à en croire les rares archives disponibles, que vers le 18 juillet.

On doit encore remarquer que pendant toute la première quinzaine de juillet 1630, alors que l'épidémie se répand en Basse‑Maurienne et atteint la Chambre tandis que Modane est également victime de la peste, aucune paroisse entre La Chambre et Modane ne sont atteintes. Ce seul fait prouve l'existence de deux contaminations indépendantes aux extrémités de la vallée de l'Arc.

Globalement, la peste semblerait donc s’être développée suivant deux origines, Aiguebelle d’abord en aval, puis Modane à peine plus tard en amont. Les deux propagations se seraient rejointes à l'amont de Saint-Jean-de-Maurienne sans que l’on puisse préciser la progression exacte de chacune par manque d'informations au droit de Saint-Michel-de-Maurienne.

Enfin, on doit noter de petites épidémies qui se seraient manifestées avant l’été 1630 dans certaines paroisses. On ne peut leur attribuer une signification sûre leurs causes pouvant être variées. Sachant que la peste sévit dans le Dauphiné et le Lyonnais, on ne peut cependant exclure la possibilité de contaminations pesteuses. Ainsi celle connue à Aussois de 5 personnes, peut‑être originaires d'Aussois mais vivant à Lyon infesté, mourant en quelques jours, l'une d'entre elles étant notée morte d'épidémie.

Vers le 12 février 1629     De nouveau a été sépulturé le Lyonnais Jean Baptiste de défunt André Gros, mort de maladie épidémique.

Ces contagions ne se seraient pas développées alors mais pourraient avoir contribué à la généralisation de l'été 1630 en peu de temps sur la Maurienne. Si ce n’est pas le cas, ce ne sont pas les rats ni les puces qui ont pu propager le mal en si peu de temps. Ce sont bien les hommes se déplaçant sur la grande route de Maurienne qui seraient à l'origine de la généralisation.

L'Histoire de France pour confirmer nos propositions

Dans ses Mémoires le Maréchal de Bassompierre rapporte au jour le jour le passage en Maurienne de Louis XIII à la tête de ses armées, accompagné du Cardinal de Richelieu. Nous citons les points marquants de ce passage savoyard.

« Le dimanche, dernier Juin, il [le Roi Louis XIII] vint coucher à la Rocquette [La Rochette].

Le lundy premier jour de Juillet il vint coucher à Aiguebelle, soubs Charbonnières, où Monsieur le Cardinal arriva.

Le mardy 2, le Roy tint conseil le matin, où il résolut, que Monsieur le Cardinal passerait en Italie, avec Messieurs Deffiat & Schomberg ; & que le Roy arresteroit quelques jours dans la Maurienne, retenant près de lui, pour commander son armée, Monsieur le Mareschal de Crequy & moy. Monsieur le Cardinal partit le jour mesme, pour aller à Suze, d'où le Roy, à cause de la peste, qui était forte à Aiguebelle, partit aussi, & vint coucher à Argentine.

J'y demeuray ce soir là. Et le mercredy 3, j'allay loger au quartier du Roy à Argentine.

Il eut des nouvelles de Monsieur le Cardinal, qui le firent partir le lendemain, quatriesme, diner à Chambotte [la Chambre ?], puis passer par le pont Amaffré [Pontamafrey], & venir coucher à St. Jean de Maurienne, où estoit Monsieur le Cardinal, pour la venuë de Julio Mazarini, qui arriva le mesme soir.

Le vendredy 5. Monsieur de Montmorancy arriva, de qui on n'estoit pas content. Messieurs Deffiat & Schomberg partirent. On depescha Mazarini, & le Roy, qui ne se portoit pas bien, se fit saigner. J'en fis de même le lendemain samedy 6, que Monsieur de Montmorancy se rabilla un peu, & on le renvoya en Italie, lui donnant Messieurs du Cramail & du Fargis pour Mareschaux de Camp. Monsieur de Crequy arriva à St. Jean de Maurienne. Le Sergent major de Nice arriva desguisé : je le fis, par ordre du Roy, parler à Monsieur le Cardinal.

Le dimanche le conseil se tint, & le lundi aussi. Le Roy se trouva mal ; mais il ne laissa pour celà de faire faire l'exercice, & moy la nuict [...]

Le samedi 13. le Roy se porta mal, & prit medecine. Mon bon ami Frangipany arriva [...]

Le vendredy 19. le Roy eut bien fort la fievre, & disoit, que si l'on le faisoit demeurer davantage à St. Jean de Maurienne, que l'on le feroit mourir [...]

Le mercredy 24. le Roy resolut de se retirer de St. Jean de Maurienne.

Le lendemain jeudy 25. il en partit, y laissant Monsieur le Cardinal et Schomberg, vint coucher à Argentine, plein de peste : on fut contraint de coucher dans les prés.

Le vendredi 26. le Roy vint coucher à la Rocquette [...] »

A. Gros précise encore que Richelieu qui devait se rendre à Suse restera à Saint-Jean-de-Maurienne jusqu’au 17 août bien que la peste y sévît.

Nos deux sources concernant l'arrivée de la peste en Basse‑Maurienne sont parfaitement compatibles.

Nous pensons que l'épidémie éclate à Aiguebelle le 29 juin 1630 mais existe larvée très probablement depuis le 15. Manifestement le roi rencontre la peste le 1er juillet en pleine expansion à Aiguebelle mais peut encore la fuir en remontant l’Arc, comme il le souhaitait pour ses affaires, suivant le sens montant de la propagation de l’épidémie, arrivant à Argentine qui ne serait peut-être pas ou peu infesté le 2 juillet. Il arrive à Saint-Jean-de-Maurienne le 4 avant que la peste n'y se déclare. Il redescend de Saint-Jean-de-Maurienne le l9 craignant la peste qui sévit déjà avec violence depuis quelques jours (le 15 juillet dans la paroisse Saint-Christophe de Saint-Jean-de-Maurienne), retrouvant Argentine en pleine contamination. Nous regrettons que le Maréchal de Bassonpierre ne précise pas mieux les symptômes du mal dont souffre le roi ! Mais son récit confirme bien l’origine très précoce de l’épidémie en Basse-Maurienne dans la seconde quinzaine de juin 1630.