Fontcouverte
 

Les diagnostics du comité de santé, des médecins et apothicaires

Les documents du comité de santé sont rédigés pour partie d'après les informations données par le commis à la visite des malades et des corps décédés. Généralement, il est possible de retrouver le détail des diverses interventions du commis : mode opératoire, diagnostic porté. Une limite peut apparaître parfois pour nous dans l’usage de termes techniques ou « médicaux » qui nous sont étrangers.

L'examen des corps se voudrait minutieux... mais généralement à distance « en faisant tourner le corps de tous côtés » après avoir été dévêtu. Cependant, il est réalisé par un commis aux visites certainement peu formé à ce travail. Souvent un interrogatoire est fait des personnes de la famille et des voisins pouvant apporter des précisions sur l'ancienneté de la maladie qui pourrait alors ne pas être pesteuse. Mais la compétence ou l'objectivité de ces personnes sont souvent douteuses.

Parmi les symptômes les plus souvent rapportés on trouve :


Des symptômes fonctionnels

Visite de Jenette veuve Domenjon le 2 septembre 1630

Différentes expressions pour caractériser ces maux seraient symptomatiques de la peste si nous en connaissions l’intensité. Ce n’est le cas que pour des maux cervicaux douloureux au point d’empêcher le patient de se tenir debout ou de relever la tête. Jenette Domenjon est dans ce cas mais ne montre cependant aucun autre signe de contagion lors de sa visite le 2 septembre 1630. Souffre‑t‑elle de la peste ? Certainement puisqu’elle meurt le lendemain de la visite, le 3 septembre.

« Du second jour du mois de septembre mil six cent trente honnête Colomban Boisson commis pour la venue et visite des malades et corps décédés rière la paroisse de Fontcouverte a rapporté a moi secrétaire soussigné s’être exprès transporté au lieu de Pierre Pain près la maison de Jenette veuve à François Domenjon accompagné de Me Antoine Girollet commis général de la santé au lieu où étant ledit Boisson a vu et visité Jenette veuve dudit François Domenjon laquelle est malade audit lieu et ayant icelle interrogée icelle a dit et déclaré qu’elle avait un grand mal de tête et que tous les autres membres lui font mal laquelle n’a aucun moyen de se tenir debout et ne peut lever la tête en haut pour voir loin ainsi qu’a été apparu tant audit Boisson que Me Girollet commis sur laquelle n’a été trouvé aucune autre marque de contagion quand à présent apparente et en foi de ce me suis soussigné. »

Quant aux « flux de ventre » ou « dysenterie » souvent évoqués en août et septembre 1630, et jamais en d’autres temps, sont‑ils des marques de peste ou plus probablement celles d’une dysenterie réelle de fin d’été ? Les voisins rapportent souvent que le patient est « malade depuis longtemps ». Cela peut être vrai, sans d’ailleurs exclure la superposition de la peste. Mais n’est‑ce pas là qu’un moyen d’échapper aux tracasseries qui ne manqueraient d’arriver si un soupçon de peste était retenu ?

Visite de Jean Taravel le 17 août 1630

« Dudit jour et l’instant [17 août 1630] nous sommes transportés du même lieu de Riortier Dessous jusqu’au village de Charvin soit à La Combe en une maison des hoirs de Claude Taravel qui nous a été rapporté qu’il y a des fils dudit feu Claude Taravel qui se nomme Jean le jeune qui est malade dans ladite maison […], là où étant, ayant trouvé ledit Jean Taravel, [Colomban] Boisson a icelui visité étant tout dépouillé et nu fait tourner de tous côtés et n’a reconnu aucun mal de contagion et lequel Boisson a icelui Taravel interrogé de l’état de sa maladie lequel a dit en répondre n’avoir autre que le flux de ventre. De quoi j’ai baillé acte moi secrétaire de la santé [...] et en foi de ce me suis soussigné. »

Dans sa visite de Jean Taravel, Colomban Boisson croit Jean sur parole sans même interroger les parents et les voisons. Jean, bien que mourant le 20 août mais n’ayant que 15 ans, peut mourir de dysenterie comme il le dit plutôt que de peste en l'absence de soupçons pesteux dans sa famille.


Des symptômes anatomiques

On trouve le plus souvent :

Les « glandes » avec leur localisation caractéristique peuvent être très généralement assimilées aux bubons, les « tarqs » ou « charbons » pourraient correspondre au développement de plaques cutanées foncées qui se produisent autour des points de piqûre de puces infectées (les termes de tar et tac étaient autrefois utilisés pour caractériser des plaques sombres développées sur la peau par le bétail). Mais une ambigüité apparaît dans la mesure où il arrive que l’on « jette le charbon » ou « le tarq » sur le corps des défunts, parfois même des vivants présentant des signes de contagion en phase terminale. Nous ne savons à quoi correspondent ces termes qui sont souvent associés à la précision que les personnes sont « espouillées ». S’agirait‑il alors d’une action tendant à chasser les puces des corps ou toute autre action à but antiseptique... mais quel antiseptique ?

Jean Baptiste Boisson un pestiféré garanti...
et pourtant il va faire partie des survivants !

Jean Baptiste Boisson est de tous les Fontcouvertins visités celui dont le visiteur des malades et décédés a décrit le plus nettement les symptômes anatomiques. Dans l'article décrivant le patient, une main apocryphe a même noté cette particularité « Signes de la contagion ». C'est très probablement un ajout du chanoine A. Gros.

Ainsi est relaté le début de la visite de Jean Baptiste Boisson : « Et le 15 dudit [novembre 1630] s’étant transporté audit lieu [L'Alpettaz] vénérable Messire Louis Domenjon prêtre curé dudit lieu, Messire Pierre Marchand son vicaire, honnête Jean Baptiste Sibué syndic, ledit Me Girollet et moi notaire et secrétaire susdits ayant fait sortir de la maison ledit Jean Baptiste Boisson frère de Jean Antoine, et Gaspard, tous deux fils d’Antoine Louis, malade et lui ont fait […] Ont été reconnus sur son corps une marque de contagion ayant sous le bras une enflure blanche, auprès des mamelles deux charbons rouges, autre un gogol [?] et une glande derrière l’oreille en sorte que ledit Jean Antoine... »

Ces symptômes anatomiques sont assez rarement rapportés. Pourtant ils sont caractéristiques de la peste dans sa variété bubonique. Des bubons pouvant rester internes ainsi que les formes septicémique et pulmonaire de la peste pourraient éventuellement échapper au diagnostic d'un cas de peste.

On peut ainsi considérer que le diagnostic porte d'abord sur les symptômes fonctionnels et que l'expression « aucun signe de maladie grave à dire » concerne les symptômes anatomiques (charbons, bubons...).

Nous avons donc des difficultés à distinguer les cas de peste manifeste ayant entrainé la mort ou pas, les cas de morts naturelles et tous les cas incertains.