Fontcouverte
 

Peu d'ancêtres mais qui « resservent » beaucoup

Si nous calculions le nombre de nos propres ancêtres ayant vécu en l’an 800, soit il y a 20 à 25 générations, et auquel nous pourrions nous attendre, nous trouverions, avec un doublement des ancêtres en remontant de génération en génération, un nombre supérieur à celui estimé pour la population mondiale du temps de Charlemagne !

Il y a bien là un problème qui mérite d’être élucidé tant il parait étonnant à certains.

La représentation de nos généalogies

Le principe de la roue des ancêtres

L’arbre généalogique est le plus intuitif et le plus connu. Il n’est pas, cependant, le mieux adapté à la recherche de la solution de notre problème.

Nous préférons alors représenter une généalogie sur un autre support : la roue des ancêtres.

Au centre de la roue se trouve la personne dont on fait la généalogie. Dans une première couronne, on place les deux parents, puis dans la seconde les quatre grands‑parents et ainsi jusqu’à épuisement des ancêtres connus.

Chaque couronne d’une génération porte un numéro que nous appelons rang : 1 pour les parents, 2 pour les grands‑parents … Pour chaque couple, l’épouse est placée à la suite de l’époux en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre.

L’habitude étant de placer le père dans la demi‑couronne supérieure, l’ascendance paternelle occupe la demi‑roue supérieure, la demi‑roue inférieure comportant l’ascendance maternelle.

Dans chaque emplacement sont portés le prénom, le nom, la date de naissance et celle de décès de chaque personne, la date de mariage des époux étant reportée sur le trait radial les séparant.

Certains des ancêtres théoriquement possibles n’étant pas connus, des emplacements peuvent rester vides ainsi que ceux de leurs ancêtres également inconnus.

Grâce à sa compacité, la roue permet de représenter facilement bien plus d’ancêtres que ne peut le faire l’arbre généalogique correspondant. Ainsi, une roue limitée au rang 9 (soit environ 3 siècles) peut comporter 1023 emplacements. A Fontcouverte, du fait de la limitation pratique des archives à 1587, les roues de Fontcouvertins nés vers la fin du XIXème siècle ne dépassent qu’exceptionnellement les rangs 9 ou 10.

Une roue réelle à Fontcouverte

La roue suivante est celle de Pierre Joseph Sibué, né en 1855 ce qui lui donne une longue généalogie publiée ici jusqu’au rang 9 mais remontant en fait plus haut. La plupart de ses ancêtres jusqu’à ce rang sont connus. Quelque lacunes apparaissent cependant correspondant à des personnes non fontcouvertines dont nous n’avons pas recherché les ancêtres ou à des Fontcouvertins dont les archives n’ont pas permis d’établir la structuration de la population les concernant.

Les ancêtres qui apparaissent plusieurs fois dans une roue

Dans la roue de Pierre Joseph le même couple apparaît dans deux emplacements (figure de gauche ci‑dessous). Il s’agit de Pierre Dominjon et Michelle Collet nés en 1685. Les enfants issus des deux emplacements, situés dans la couronne immédiatement inférieure, sont donc deux sœurs : Denise et Louise.

 

Tous les ancêtres de ce couple constituent naturellement des doublons (figure de droite).

D’où viennent ces ancêtres apparaissant plus d’une fois ?

Bien que surprenant à première vue, le phénomène est très naturel à Fontcouverte. En voici des explications.

Un couple apparaît deux fois dans la roue

A veut faire son arbre généalogique en regroupant ceux de ses parents B et C que le Curé a dû faire à l’époque de leur mariage pour s’assurer que celui-ci est admissible par le droit religieux. Le graphique précise, à droite et en noir, le nombre d’ancêtres « théoriques » à chaque rang. On note en particulier le nombre de 32 ancêtres au rang 5 mais les générations supérieures à ce rang comporteraient elles‑mêmes 64, 128 et 256 ... ancêtres non représentés ici.

A dispose, a priori, d’un arbre tout à fait correct, avec doublement du nombre des ancêtres à chaque génération et la possibilité de passer dans l’arbre d’une personne quelconque à une autre par un seul chemin.

Mais le Curé n’a pas de raisons de signaler à B et C qu’ils ont deux ancêtres communs P et M. Ces derniers apparaissant deux fois, nous devons fusionner (graphique ci‑dessous) le doublon P ‑ M ainsi que de tous les ascendants. Le nombre restant d'ancêtres physiquement disctincts est noté à droite en rouge.

Cette fusion entraîne deux conséquences :

Compte tenu de la population relativement réduite de Fontcouverte, un tel cas ne peut être que très fréquent.

Un remariage de veuf(s)

Un autre cas possible est celui d’un père P ayant un enfant S de son épouse M. Celle‑ci étant décédée, M se remarie avec une célibataire N dont un enfant F. Une occurrence de P disparaît ainsi que ses divers ancêtres, soit 15 personnes aux seuls rangs 5 à 8 et une boucle apparaît dans le schéma.

Si, de plus, N est elle‑même une veuve, une deuxième boucle apparaît et la perte d’ancêtres est doublée, soit 30 personnes au total.

Les cas de remariage de veufs et veuves étant très répandus dans les anciens temps et les remariages pouvant se reproduire une, deux, voire trois fois, il est évident que les pertes d’ancêtres ne peuvent être que fréquentes.

Dans la réalité démographique de Fontcouverte

Nous reprenons la roue de Pierre Joseph Sibué où était précisé le doublon Dominjon ‑ Collet mais nous portons maintenant tous les doublons que nous pouvons retrouver par voie informatique pour être exhaustifs, chaque type de doublons différents ayant une couleur différente.

Au centre de la roue, les doublons sont inexistants en particulier du fait des contraintes imposées par l’Eglise.

On trouve des doublons en nombre croissant avec le rang dont le doublon déjà connu en rouge dans les deux quarts gauche de la roue.

Des personnes n’apparaissent qu’une seule fois aux rangs élevés mais à ces rangs la grande majorité est constituée de doublons. Les doublons apparaissent la plupart du temps au même rang mais des écarts d’un rang sont également possibles quand il s’agit de personnes issues d’une fratrie s’étendant sur le temps d’une génération soit 20 à 30 ans.

Le graphique ci‑contre présente pour chaque rang générationnel le rapport du nombre des personnes réapparaissant au moins une fois à celui de l’ensemble des personnes que nous avons pu identifier à ce rang.

Après les cinq générations contraintes par l’Eglise, le taux croit régulièrement avec le rang montrant la progression des interactions multiples entre familles. Au-delà du rang 10 les effectifs en cause sont très réduits mais rien n’empêche de penser qu’au delà du rang 11 toute personne est susceptible de réapparaitre plusieurs fois. En tout cas, la probabilité de réapparition d'une personne ne peut que croitre avec le rang ; seules de très rares personnes, en particulier celles étrangères à Fontcouverte, font que la limite de 100 % du taux peut ne pas être strictement atteinte.

Le graphique ci-contre donne la répartition, parmi les personnes identifiées dans la roue (complétées au-delà du rang 9), en fonction du nombre de leurs réapparitions.

La moitié des personnes ne réapparaissent pas, en particulier celles de la partie centrale de la roue, mais un quart des personnes réapparaissent 1 fois. Ensuite la proportion décroit fortement mais des ancêtres se manifestent jusqu’à 14 fois. Une telle personne occupe dans la roue autant de place que 14 personnes ne réapparaissant pas.

Un autre exemple, donné par Charles Joseph Bouttaz né en 1868, est un cas plutôt extrême. Ses parents, Jean Saturnin Bouttaz et Marie Clémentine Bullière, sont cousins germains et profitent de la législation française pour se marier en 1867.

 

Les arrière‑grands‑parents de Charles Joseph constituent alors un couple apparaissant simultanément dans la branche paternelle et dans la branche maternelle (figure de gauche).

Tous les ancêtres du couple apparaissent donc 2 fois (figure de droite). Les deux quarts gauches de la roue sont strictement identiques. Ce cas illustre l’effet d’un doublon à un rang relativement très faible.

Une autre anomalie de la roue est provoquée par Marguerite Féjoz originaire de Saint‑Jean-d’Arves dont nous n’avons pas recherché les ancêtres. Apparaissant dans la roue à un rang faible, elle provoque un secteur vide important. Il n’est pas impossible qu’elle ait des ancêtres à Fontcouverte, les échanges matrimoniaux entre les deux paroisses n’étant pas rares.

La roue portant l’ensemble des réapparitions traduit la particularité des deux quarts identiques mais on note également des doublons entre moitié gauche et moitié droite de la roue ou à l’intérieur de la moitié droite.

La courbe ci‑contre du taux de réemploi des ancêtres identifiés (voir définition ci-dessus) est alors fortement altérée par des taux élevés dès le rang 3. Mais elle se rapproche progressivement de la courbe de référence de Jean Pierre Sibué aux rangs les plus élevés.

Le graphique de la proportion des réemplois en fonction de leur nombre (voir définition ci-dessus) traduit naturellement l'effet des cousins germains. Moins de 30 % des personnes identifiées ne réapparaissent pas mais un tiers réapparait 1 fois, 20 % le font 2 fois.

 

Des ancêtres peu nombreux mais très concernés !

Pour contrôler nos dires, nous pourrions envoyer à nos ancêtres « théoriques » connus une invitation à un grand repas familial. Il est certain que beaucoup recevraient plusieurs invitations mais que la plupart des couverts resteraient vides !

Les Fontcouvertins ont donc réellement beaucoup moins d’ancêtres physiques distincts qu’on pourrait le croire en théorie. Le cas de Fontcouverte n’est cependant pas généralisable au Piémont, à la France, à Chambéry et même à Saint‑Jean-de‑Maurienne. A Fontcouverte, la population est relativement réduite et l’habitude des mariages dans la communauté y est forte. On doit cependant avoir conscience de l’ampleur surprenante du « réemploi » des ancêtres, en particulier dans les petites communautés de montagne de Savoie.

Une conséquence qui peut être défavorable à la santé des Fontcouvertins : la consanguinité

La recherche des ancêtres qui apparaissent plusieurs fois dans une roue des ancêtres révèle que la plupart les époux fontcouvertins ont des ancêtres communs.

Le fait que deux époux aient un ancêtre en commun est la définition même de la consanguinité. Pratiquement, tous les couples fontcouvertins sont donc consanguins et riquent donc d'avoir hérité, chacun de leur côté, d'un caractère particulier (éventuellement néfaste) de cet ancêtre. Heureusement, on montre que plus l'ancêtre commun est éloigné des époux dans les générations plus la probabilité de cet héritage est faible (division par 2 à chaque génération). Des consins germains ont une forte consanguinité mais des cousins issus de germains ont une consanguinité moitié des précédents. On comprend alors les précautions de l'Eglise, même si la raison n'est pas là à l'origine, interdisant en principe les mariages quand un ancêtre commun apparait à moins de 5 générations au dessus des futurs époux.

La multiplications des ancêtres communs ne fait que renforcer cette consanguinité. Bien que le constat des conséquences soit difficile à faire dans les archives de la paroisse, il est possible de montrer des cas familiaux atteints de tares congénitales pouvant être grâves et conduisant, en particulier, à de nombreuses morts à la naissance.