Fontcouverte
 

Les statistiques sardes et françaises sur
l'endémie de goitre et de crétinisme au XIXème siècle

La Savoie tire profit de son rattachement récent à la France pour être prise en compte dans les deux enquêtes sarde et française. Si la seconde traite du goitre et du crétinisme, la première ne s'intéresse qu'au crétinisme, les deux pathologies n'étant pas alors nettement reliées.

Le goitre

La carte suivante de la commission française donne une répartition géographique départementale de l'endémie des goitres vers 1870. Le numéro porté dans chaque département est son rang dans le classement par ordre décroissant du taux de goitrie. La Savoie fait figure de proue !

On peut constater l'influence globale régulière de l'éloignement de l'océan ou des mers, c'est à dire d'une source importante d'iode, et l'incidence de contexte montagnard, avec l'exception du département de l'Aisne utilisée par les opposants à la théorie de l'iode.

Manifestement, d'après la statistique française, les départements de la partie orientale du pays et tout spécialement ceux de la frontière italienne sont les plus touchés (plus de 13 % de goitreux de la population de plus de 20 ans vers 1865 en Savoie, environ 11 % en Haute‑Savoie, 9 % dans les Hautes‑Alpes, 7 % dans les Basses‑Alpes, 5 % dans les Alpes Maritimes). Une enquête statistique générale donne 2631 goitreux et 4074 goitreuses dans la seule Savoie.

Des études locales de la commission sarde différentiant les arrondissements montrent que la Maurienne est particulièrement atteinte et spécialement le canton de Saint‑Jean‑de‑Maurienne.

Dans les tableaux qui suivent, sont ajoutés aux nombres des diverses catégories d'individus donnés par les documents sardes le pourcentage de ceux‑ci dans la population totale de la localité, du moins telle qu'estimée à l'époque (la population de fait de Fontcouverte est probablement surestimée d'une centaine de personnes).

La statistique donne le détail par communautés pour le mandement de Saint‑Jean‑de‑Maurienne avec un taux de goitreux de 8 %.

  Pop. totale Simple goitreux Crétins avec goitre Total  
Hommes Femmes Total % Hommes Femmes Total % %
St Jean 3084 113 224 337 10,9 21 23 44 1,4 381 12,4
Albanne 537 0 0 0 0,0 0 0 0 0,0 0 0,0
Albiez-le-Jeune 506 25 29 54 10,7 0 1 1 0,2 55 10,9
Albiez-le-Vieux 930 7 3 10 1,1 7 7 14 1,5 24 2,6
Fontcouverte 1486 14 5 19 1,3 4 2 6 0,4 25 1,7
Hermillon 535 24 32 56 10,5 8 9 17 3,2 73 13,6
Jarrier 935 27 29 56 6,0 30 25 55 5,9 111 11,9
Le Chatel 375 7 12 19 5,1 3 6 9 2,4 28 7,5
Montdenis 380 7 14 21 5,5 2 3 5 1,3 26 6,8
Montpascal 394 4 18 22 5,6 0 1 1 0,3 23 5,8
Montricher 346 5 5 10 2,9 2 4 6 1,7 16 4,6
Montrond 512 0 0 0 0,0 0 1 1 0,2 1 0,2
Montvernier 507 12 20 32 6,3 7 7 14 2,8 46 9,1
Pontamafrey 129 42 36 78 60,5 2 6 8 6,2 86 66,7
St-Jean-d'Arves 1951 3 4 7 0,4 0 0 0 0,0 7 0,4
St-Julien 824 13 14 27 3,3 15 11 26 3,2 53 6,4
St Pancrace 401 20 16 36 9,0 7 11 18 4,5 54 13,5
Villarembert 439 3 6 9 2,1 1 0 1 0,2 10 2,3
Villargondran 440 39 56 95 21,6 9 5 14 3,2 109 24,8
 
Total 14711 365 523 888 6,0 118 122 240 1,6 1128 7,7

A noter la proportion invraisemblable (même en Maurienne) des simple goitreux à Pontamafrey, celle des goitreux crétins y restant aussi plutôt élevé... une erreur possible de transcription des valeurs des nombres de simple goitreux et de crétins goitreux de Saint‑Jean‑d'Arves et de Pontamafrey (deux lignes consécutives dont seules les valeurs de la population totale, dans un rapport de 1 à 15, serait correcte), erreur qui après permutation conduirait à des valeurs plus admissibles.

Dans le graphique qui tient compte de cette permutation, les diverses paroisses sont classées par valeurs décroissantes des taux. Villargondran se signale par un taux relativement élevé (le curé aurait-il fait preuve de plus de zêle que ses voisins ?) Globalement, il apparaît que les villages les plus atteints se situent dans la vallée de l'Arc, les seuls présentant des taux faibles, voire pratiquement nuls, faisant partie des paroisses de l'Arvan ainsi qu'Albanne. De ce point de vue, Saint‑Pancrace et Jarrier feraient bien partie de la vallé de l'Arc étant largement ouverts vers Sain‑Jean‑de‑Maurienne. L'altitude (estimée sans doute grossièrement comme étant celle de l'église des villages) n'est pas strictement discriminante. A titre d'exemple, Montdenis et Montpascal situés à 1400 mètres avoisinent par leurs taux Saint Julien n'atteignant pas 700 mètres. Inversement Albiez‑le‑Jeune présente un taux important malgré son altitude de 1500 mètres.

Plus inquiétante encore est la répartition dans les départements français de l'accroissement du taux de goitreux entre 1816 et 1865, soit de plus de moitié en Savoie (et au moins doublement en Haute‑Savoie) comme le précise la carte suivante.

Le crétinisme

Quant au crétinisme, sa répartition géographique est bien plus complexe à établir que celle du goitre :

Malgré ces difficultés, le taux de crétins est estimé à 1,6 % en Savoie.

La carte suivante montre ainsi que la répartition du crétinisme (et idiotie confondue) est plus irrégulière que celle du goitre.

On peut alors admettre que l'idiotie est relativement importante, relevant de causes différentes de celles du crétinisme (on site l'alcoolisme). Les départements alpins se distingueraient encore, sans doute, par l'abondance relative des crétins.

Au niveau de l'arrondissement de Saint‑Jean‑de‑Maurienne, la statistique des goitreux et crétins observée lors du recrutement militaire des hommes (âgés de 20 ans) au voisinage de 1860 donnerait approximativement 2 % de crétins.

La statistique sarde donne le détail suivant pour chaque communauté du mandement de Saint‑Jean‑de‑Maurienne. Les nombres d'individus crétins sont à permuter entre Pontamafrey et Saint‑Jean‑d'Arves.

  Population totale Crétins sans goitre Crétins avec goitre Total crétins Intensité du crétinisme
Hommes Femmes Total % Hommes Femmes Total % % Crétins % Demi crétins % Créti-
neux
St Jean 3084 0 1 1 0,0 21 23 44 1,4 45 1,5 19 0,6 26 0,8 0
Albanne 537 1 2 3 0,6 0 0 0 0,0 3 0,6 2 0,4 1 0,2 0
Albiez-le-Jne 506 3 3 6 1,2 0 1 1 0,2 7 1,4 2 0,4 5 1,0 0
Albiez-le-Vx 930 0 0 0 0,0 7 7 14 1,5 14 1,5 7 0,8 7 0,8 0
Fontcouverte 1486 0 4 4 0,3 4 2 6 0,4 10 0,7 9 0,6 1 0,1 0
Hermillon 535 3 1 4 0,7 8 9 17 3,2 21 3,9 18 3,4 3 0,6 0
Jarrier 935 2 2 4 0,4 30 25 55 5,9 59 6,3 22 2,4 37 4,0 0
Le Chatel 375 0 2 2 0,5 3 6 9 2,4 11 2,9 6 1,6 5 1,3 0
Montdenis 380 0 0 21 0,0 2 3 5 1,3 5 1,3 2 0,5 3 0,8 0
Montpascal 394 1 0 1 0,3 0 1 1 0,3 2 0,5 0 0,0 2 0,5 0
Montricher 346 0 1 1 0,3 2 4 6 1,7 7 2,0 3 0,9 4 1,2 0
Montrond 512 0 0 0 0,0 0 1 1 0,2 1 0,2 1 0,2 0 0,0 0
Montvernier 507 0 0 0 0,0 7 7 14 2,8 14 2,8 3 0,6 11 2,2 0
Pontamafrey 129 0 0 0 0,0 2 6 8 6,2 8 6,2 2 1,6 6 4,7 0
St-Jean-d'Ar. 1951 2 1 3 0,2 0 0 0 0,0 3 0,2 1 0,1 2 0,1 0
St-Julien 824 1 1 2 0,2 15 11 26 3,2 28 3,4 17 2,1 10 1,2 0
St Pancrace 401 6 5 11 2,7 7 11 18 4,5 29 7,2 13 3,2 16 4,0 0
Villarembert 439 0 0 0 0,0 1 0 1 0,2 1 0,2 1 0,2 0 0,0 0
Villargondran 440 0 0 0 0,0 9 5 14 3,2 14 3,2 5 1,1 9 2,0 0
 
Total 14711 19 23 42 0,3 118 122 240 1,6 282 1,9 133 0,9 148 1,0 0

Le tableau ci‑dessus montre clairement le côté partiel de la statistique : aucun crétineux (faible atteinte du crétinisme) n'est mentionné soit que ceux‑ci soient difficiles à diagnostiquer, soit qu'ils fassent partie du paysage habituel.

Le graphique, corrigé de la permutation des données de Pontamafrey et de Saint‑Jean‑d'Arves, classe les paroisses par ordre décroissant du taux de crétins mentionnés dans l'ensemble de la population des divers localités.

On retrouve une moyenne de 2 % de crétins dans le mandement. Une valeur du taux de 1 % permet de distinguer globalement les villages de la vallée de l'Arc de ceux de la vallée de l'Arvan. Les exceptions sont Albiez‑le‑Vieux avec un taux de 1,5 % et inversement Montpascal avec son taux de 0,5 %. Il faut encore noter la particularité de Saint‑Pancrace et de Jarrier avec les taux records de 7,2 et 6,3 %. Enfin, la statistique sarde donnerait dans le mandement de Saint‑Jean‑de‑Maurienne 25 crétins pour 100 goitreux (simples ou crétins).

Par ailleurs, une analyse française plus détaillée mais tout aussi imprécise montrerait, entre les périodes 1820 ‑ 1839 et 1840 ‑ 1859, une augmentation du nombre de crétins plus faible que celle des goitreux.

La commission sarde aborde l'aspect héréditaire du crétinisme. L'enquête adressée aux curés du royaume prévoit de préciser, pour chaque crétin, l'état biologique des parents, père et mère. Des informations sont demandées précisant les conditions de vie dans le lieu de naissance du crétin (lieu infesté ou non), celles du lieu d'origine des parents, leur état sanitaire et aspect extérieur (bon, médiocre, mauvais), l'aisance de la famille. Malheureusement, le tableau numérique présenté dans le rapport précise ces données sans tenir compte des conjonctions possibles des caractéristiques parentales (couples de deux goitreux, de deux crétins, d'un conjoint crétin l'autre étant goitreux, d'un seul conjoint sain, de deux parents sains...) Dans le cas du mandement de Saint‑Jean‑de‑Maurienne, tous les lieux sont réputés infestés.

Les graphiques ci‑dessous ne retiennent, dans le mandement de Saint‑Jean‑de‑Maurienne, que les caractéristiques concernant le goitre et le crétinisme des parents pris séparément et portent sur 166 crétins pour l'ascendance paternelle et sur 167 pour l'ascendance maternelle.

Deux hypothèses interprétatives extrêmes sont possibles. Dans la première, peu plausible, les crétins relatifs aux pères sont totalement différents de ceux concernant les mères. Se seraient donc 233 crétins mentionnés sur un total de 282 connus (voir tableau ci‑dessus). Noter que, de plus, 41 crétins ont des parents dont l'état n'est pas déterminé. On doit en conclure que l'échantillon fourni par la commission sarde serait peu représentatif. Dans la seconde hypothèse, la plus vraisemblable, la commission aurait traité 166 cas de crétins avec père et mère et 1 cas avec une mère célibataire. L'échantillon ne porterait alors que sur 126 crétins dont les parents seraient déterminés sur les 282 crétins connus. Il serait alors particulièrement peu significatif et susceptible de biais. En toute rigeur, une combinaison des deux hypothèses est possible mais assez peu probable. Dans toutes les hypothèses, il n'est pas possible de déterminer l'état physique de chaque couple pour en déduire des conclusions sur l'influence de tares croisées des parents et du rôle particulier de la mère ou du père.

Si nous ne connaissons pas exactement le nombre des naissances saines ni la constitution exacte des familles, le texte du rapport de la commission sarde laisse cependant penser que, sur la population totale recensée pour chaque sexe dans les régions infestées du royaume, les pères goitreux représenteraient 21 % des pères et les mères 25 %. Les pères crétins, dans les mêmes conditions, seraient environ 3,7 % et les mères crétines 2,6 %. Ces valeurs ne sont pas en nette contradiction avec la statistique de Saint‑Jean‑de‑Maurienne.

Plus de 50 % des pères ou des mères de crétins seraient sains. 30 % seraient goitreux, les femmes et les hommes étant dans un rapport conforme à la statistique générale des goitreux. 2 % ou 1 % seulement des pères ou des mères seraient crétins. Quant aux mères goitreuses et crétines, elles seraient bien moins nombreuses que les pères souffrant des mêmes maux. Ce dernier fait serait sans doute à rapprocher de la stérilité accentuée des crétines et, peut‑être, d'une pression sociale importante.