Fontcouverte
 

L'âge des mariés à Fontcouverte

De nombreuses théories fondées sur des considérations physiologiques, sociales, morales, religieuses ou philosophiques ont été avancées pour expliquer tant les âges au mariage des époux que leurs écarts d'âge. Quelles sont-elles celles qui s'appuyent sur des données précises ? A quels lieux et à quelles époques se rapportent-elles ? Nous ne le savons pas.

Aux temps qui nous intéressent, les écarts d'âge importants (surtout concernant les femmes plus âgées) sont considérés comme « le signe d'un affaiblissement moral » d'où les nombreux proverbes populaires et la tradition du charivari. Mais en pratique, si l'isogamie d'âge (égalité d'âge des époux) semble naturelle, des contraintes, en particulier économiques et familiales, peuvent conduire à l'hétérogamie (écart d'âge entre époux) : préférence d'époux plus âgés installés dans la vie, d'épouses plus âgées ayant des économies et une expérience de la vie ménagère...

Une modification de mentalité au XIXe siècle, en particulier à sa fin, est mentionnée qui concerne sans doute plus les populations urbaines que rurales :

Ces nouveautés conduisent à une tendance nette à l'isogamie d'âge. Voilà de quoi expliquer tout et son contraire !

Des études démographique très documentées réalisées à grande échelle, en particulier celles concernant globalement l'Europe occidentale, donnent des éléments de référence.

Mais que pensent donc de ces analyses les Fontcouvertins du haut de leurs montagnes ? Allons donc les voir.

Evolution dans le temps de l'âge des époux

L'étude de l'âge des époux lors de leur mariage est rendue complexe par l'existence d'assez nombreux remariages de veufs ou de veuves. Il importe donc de reconnaître le mieux possible le rang des mariages dans les archives. Cette distinction est peu aisée aux XVIe, XVIIe, voire XVIIIe siècles pour les femmes ; elle l'est encore bien moins pour les hommes. Il se peut également que des mariages soient célébrés en dehors de Fontcouverte, mariages dont on n'a pas retrouvé la trace et qui modifient le rang estimé à Fontcouverte. Enfin, les mariages enregistrés dans les archives avant 1600, voire plus tard encore, sont très généralement inexploitables dès que la connaissance de l'âge des mariés est nécessaire. Il faut tenir compte de ces difficultés dans le traitement des âges des époux au moment de leur mariage.

Une première idée de l'âge auquel on se marie à Fontcouverte au cours des siècles peut venir du graphique en fonction du temps de l'âge des époux à chaque mariage connu à Fontcouverte. On a retenu ici les seuls mariages considérés comme premiers des personnes nées et mariées à Fontcouverte de façon à s'affranchir des biais que pourraient introduire, en particulier au XIXe siècle, les mariages de personnes nées hors de Fontcouverte ou mariés hors de la paroisse (on verra ci-dessous que ces biais sont très faibles). Le graphique donne une bonne idée des âges aux primo-mariages ainsi que leur grande dispersion.

Les mariages constatés aux âges élevés (supérieurs à 40 ans) peuvent être souvent considérés comme des remariages non identifiés comme tels.

A ce stade de l'interprétation, il est facile de constater que les femmes se marient, pour la plupart, entre 18 et 30 ans. Ces âges semblent n'avoir évolué que peu dans le temps.

Quant aux hommes, ils se marient à des âges très voisins de celui de leurs épouses, voire légèrement supérieurs jusque vers 1850, sans pratiquement montrer, eux aussi, d'évolution importante dans le temps. Par contre, de façon nette et brusque à partir de 1850, ils convolent à un âge de 3 à 5 ans supérieur à celui de leurs épouses.

Une estimation plus précise des âges au mariage est donnée par un graphique en fonction du temps de ces âges en regroupant les mariages dans une moyenne mobile de 10 ans de façon à réduire la dispersion tout en gardant les grandes évolutions temporelles.

Sans commenter la période de mariage comprise entre 1600 et 1620 environ quand les mariages utilisables sont pratiquement inexistants (les époux seraient nés avant le début des archives) ni celle postérieure à 1900 pour laquelle l'âge des époux est donné à titre indicatif (il décroît rapidement mais échappe au domaine temporel de notre étude) on confirme que :

pour la période 1600 - 1840

et pour la période 1840-1900

Quant à la période postérieure à 1900, la baisse rapide des âges au mariage pourrait traduire l'effet tardif de l' « urbanisation » signalée par les démographes.

Mariages et remariages

Les âges réels au mariage

Les moyennes d'âge au mariage ne sont que des indicateurs simples ne traduisant pas la grande variabilité réelle des âges.

Les graphiques suivants donnent alors, dans l'ensemble des mariages traitables, la proportion (ou la fréquence) des mariages contractés aux âges successifs. Puisqu'il est évident que les premiers mariages ont lieu avec des personnes relativement jeunes, les remariages avec des personnes plus âgées, il importe, dans la mesure du possible, de distinguer le rang des divers mariages (nous n'avons différencié que les mariages de rang 1, 2 et 3 dans la mesure où les mariages de rangs supérieurs sont extrêmement rares). Chaque graphique donne les fréquences d'âge des mariages tous rangs confondus et, séparément, celles des mariages de rangs 1, 2 et 3 quand nous les connaissons.

Les périodes d'étude sont séculaires et sont notées du numéro du siècle ; cependant, le XIXe siècle est analysé sur deux périodes cinquantennales successives notées du suffixe -1 ou -2 caractérisant la première ou seconde moitié du siècle.

Hommes Femmes
XVII 1601-1700
XVIII 1701-1800
XIX-1 1801-1850
XIX-2 1851-1900

Il apparaît à l'évidence que, si la moyenne de l'âge au mariage des époux du XVIIe siècle est voisin de 25 ans, les Fontcouvertins se marient en fait entre 12 ans (pour les filles), 14 ans (pour les garçons) et 60 ans (il n'est pas exclu que les mariages très tardifs et très rares révellent des erreurs dans la structuratuion de la population). Il est vrai que de nombreux le font vers 22 - 23 ans. De façon générale, les courbes de fréquence sont très disymétriques ; elles montent très rapidement à leur maximum mais redescendent bien plus lentement (on ne peut pas se marier avant d'avoir 12 -  14 ans mais on peut le faire jusque dans sa vieillesse !)

Les irrégularités (vers 30 - 40 ans) dans la décroissance de fréquence au premier mariage, particulierement nettes pour ce qui concerne les femmes, traduisent certainement le fait que nous aurions considéré comme primo-mariages des mariages qui sont en réalité de rang 2.

Une caractéristique nette des graphiques est le fait que les hommes se marient pour la première fois à des âges nettement plus variables que les femmes.

On peut encore noter le fait que les hommes se remarient plus souvent que les femmes et peuvent le faire à des âges plus élevés.

Isogamie ou hétérogamie d'âge ?

Une analyse plus détaillée des circonstances de mariage peut être faite en comparant les âges des époux lors de chaque mariage. Des analyses mathématiques puissantes peuvent être réalisées mais difficilement praticables à Fontcouverte. Nous nous contentons ici d'une présentation graphique moins décisive mais plus parlante.

L'étude porte sur les seuls mariages dont nous connaissons la date et celles de naissance des deux époux (permettant la détermination de leur âge au moment du mariage) grâce à la structuration de la population dont la qualité croît, du fait de celle des archives, avec les siècles.

Pour les quatre grandes périodes de notre étude, des graphiques sont établis en distinguant les premiers mariages (ou réputés tels) des mariages ultérieurs (sans distinguer les rangs supérieurs à 1) et, ce, tant pour les femmes que pour les hommes. Pour chaque paire d'âges de l'épouse (suivant l'axe X) et de l'époux (suivant l'axe Y), une échelle de couleur donne le nombre de mariages connus correspondant à cette paire d'âges. Les mariages pour lesquels les époux ont le même âge (isogamie d'âge parfaite) se situent sur la bissectrice portée sur les graphiques. Si l'homme est plus âgé le mariage se situe au dessus de la bissectrice et inversement (hétérogamie d'âge d'amplitude plus ou moins grande). Le nombre exact de mariages peut être déduit de l'échelle des couleurs et du nombre maximum qui y est indiqué pour la couleur rouge.

XVII (1601 - 1700)

  Femmes
1er mariage Remariages
 
 
   

Les âges aux premiers mariages des deux époux sont axés symétriquement sur la bissectrice avec une légère supériorité de l'âge de l'époux (de l'ordre de 1 à 2 ans pour la partie la plus dense du graphique) ce qui confirme le graphique des âges au mariage en fonction du temps. La grande majorité des mariages se fait à des âges entre 15 et 30 ans. Mais une dispersion apparaît d'autant plus grande que les époux sont plus âgés et peut traduire la présence de mariages de rangs supérieurs à 1 non identifiables par les archives.

12 % des premiers mariages seraient suivis d'un remariage de veufs qui sont alors généralement plus âgés que leurs nouvelles épouses.

6 % seulement des mêmes mariages sont suivis de remariage de veuves d'âge en moyenne équivalent à celui de leur nouvel époux ou légèrement inférieur.

Quant aux remariages de deux veufs ils ne représentent qu'à peine plus de 3 % des premiers mariages et correspondent à une hétérogamie importante.

Les veufs présentent donc une propention nettement supérieure à celle des femmes au remariage.

XVIII (1701 - 1800)

  Femmes
1er mariage Remariages
 
 
   

Les constatations faites au XVIIe siècle peuvent être pratiquement reconduites au XVIIIe. Elles sont cependant mieux assurées du fait du nombre accru de mariages traités, nombre lié à la facilité croissante dans la reconnaissance des mariages, en particulier celle des veufs.

Le taux de remariage s'établit à :

16 % pour les veufs dont l'âge est en moyenne supérieur à celui de leurs nouvelles épouses,

6,5 % pour les veuves souvent un peu plus jeunes que leurs nouveaux époux,

et 5 % pour deux veufs, l'homme étant en moyenne d'âge un peu supérieur à celui de la femme.

Ces valeurs sont très voisines de celles du XVIIe siècle. Elles peuvent donc être considérées comme plausibles, peut-être très légèrement sous-estimées, quelques premiers mariages pouvant être en fait des remariages.

XIX-1 (1801 - 1850)

  Femmes
1er mariage Remariages
 
 
   

Pour les premiers mariages des deux époux, un décalage au bénéfice de l'époux commence à apparaìtre de façon nette, de l'ordre de 2 à 3 ans. Il s'agit de l'effet de la brusque augmentation de l'âge de l'époux à partir de 1840 mais aussi de l'écart systématique de l'ordre de 1 an qui se manifeste déjà entre 1810 et 1830.

Les remariages des veufs concernent encore 17 % des primo-mariages mais correspondent systématiquement à un âge du veuf supérieur à celui de son épouse, écart croissant en moyenne de 4 ans pour des veufs de 25 ans à 10 ans pour les veufs de 55 ans. Ces remariages deviennent moins nombreux aux bas âges mais s'étendent jusqu'à des âges plus élévés que par le passé.

Les remariages des veuves ne représentent qu'un peu plus de 6 % des primo-mariages. L'isogamie, pour autant qu'on puisse en juger, semble rester la même qu'aux siècles précédents.

Quant aux remariages de deux veufs, ils sont pratiquement inexistants.

XIX-2 (1851 - 1900)

  Femmes
1er mariage Remariages
 
 
   

Aux premiers mariages le décalage du nuage des points au bénéfice de l'âge plus élévé des hommes atteint son plein effet de 5 ans environ avec une dispersion légèrement accrue par rapport à la période précédente : les jeunes mariés, plus particulièrement les hommes, se permettent davantage de latitude d'écart d'âge dans leurs choix.

Les remariages continuent leur raréfaction. Les tendances qu'on peut en déduire deviennent très incertaines.

Les veufs continuent de se remarier avec une seconde épouse plus jeune qu'eux avec une hétéragamie très variable. Le taux de remariage des veufs n'est plus que de 10 %.

Le taux de remariage des veuves s'effondre à 2 %.

Enfin, celui du remariage de deux veufs ne dépasse guère plus de 1 %.

La nette diminution, à cette époque, des décès aux âges intermédiaires est sans doute la cause principale de la chute des taux de remariage mais d'autres raisons économiques et sociologiques sont peut-être aussi à l'œuvre.

Les Foncouvertains n'en feraient-ils qu'à leur tête ?

Il est généralement admis par les démographes historiens que l'Europe occidentale s'est longtemps caractérisée autrefois par des âges au mariage élevés (on site 28-29 ans pour les hommes) et des écarts d'âges des époux relativement élevés. Ce ne serait qu'au cours du XIXe siècle que ces caractéristiques, tant l'âge que l'écart d'âges, auraient nettement diminué. Il est possible que les études qui ont conduit à ces conclusions portent de préférence sur des populations urbaines et remonteraient rarement au delà du XVIIIe siècle.

Qu'en est-il pour les Fontcouvertins ?

Nous reprenons les graphiques précédents des âges aux mariages par sexes séparés en nous limitant aux seuls primo-mariages et en regroupant les courbes de fréquence des différentes époques pour en suivre l'évolution dans le temps. Nous préférons commenter les modes (âges de la fréquence la plus élevée) plutôt que des moyennes qui risquent d'être contaminées par d'éventuels remariages. Du fait de la répartition des mariages dans les âges, le mode est inférieur à la moyenne.

Les deux graphiques suivants présentent l'évolution des habitudes des hommes et celle des femmes. Les changements progressifs des habitudes matrimoniales apparaissent alors nettement.

Les hommes

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ils ont peu changé leur habitude de se marier assez jeunes, le plus fréquemment vers 21 - 25 ans. L'âge minimum de mariage s'établit vers 15 ans tandis que l'âge maximum se situerait vers 35 ans.

La première moitié du XIXesiècle manifeste un début de glissement du mode à 25 ans et une nette augmentation de la proportion des mariages entre 25 et 30 ans.

La seconde moitié du siècle est caractérisé par un mode voisin de 26 ans mais surtout par une forte réduction de la proportion des mariages intervenant avant le mode et encore plus par le nombre des mariages célébrés entre 27 et 40 ans. Simultanément l'âge minimun passe de 16 ans à 21 ans et l'âge maximum atteint 40 à 45 ans.

De tout temps, les hommes montrent une dispersion importante autour du mode.

Les femmes

De leur côté, les femmes montrent une évolution bien plus faible que les hommes dans le temps. Le XVIIe siècle se singularise encore par un mode à 18 - 20 ans mais par la suite le mode reste invariable à 22 ans. Les âges minimum évoluent de 12 à 15 ans pour atteindre 17 ans dans la seconde moitié du XIXe siècle alors que les âges maximum restent vers 35 - 40 ans.

Si elles se marient très jeunes, peut-être de préférence vers 19 - 20 ans au XVIIe siècle, elles gardent, dans tous les siècles suivants, leur habitude de convoler préférentiellement vers 22 ans. La dispersion autour de ces âges reste toujours inférieure à celle des hommes.

De tout temps, encore, les femmes montrent une dispersion autour du mode relativement faible, en tout cas nettement inférieure à celle des hommes.

Globalement, on se singularise à Fontcouverte ! Les Fontcouvertines gardent toujours leur habitude de se marier jeunes ; les Fontcouvertins en font de même jusqu'à la fin du XVIIIe siècle mais se décident à se marier plus tard à partir du XIXe, en particulier dans la seconde moitié du siècle.

Que croire d'une monographie paroissiale ?

L'analyse des âges au mariage est un exemple typique des qualités et des défauts que peut présenter une monographie très locale.

On peut admettre que les circonstances de vie à Fontcouverte ne sont pas celles moyennes de l'Europe occidentale... en tout cas, il faut aussi reconnaitre que les Fontcouvertins ont tout fait à l'envers pour leurs mariages... l'« Europe occidentale » n'est décidément pas la Maurienne !

Cette constatation montre la difficulté que l'on peut rencontrer à tirer des conclusions globales d'une étude démographique générale couvrant une population importante donc aisée à traiter par voie statistique mais éventuellement très hétérogène. Une monographie paroissiale portant sur une population très locale et donc homogène doit laisser leurs auteurs prudents dans leurs conclusions statistiques mais ceux-ci saisissent précisément les caractéristiques spécifiques des personnes qu'ils étudient.