Les documents notariés à caractère familial
Nous nous bornons ici aux actes les plus significatifs pour la
compréhension de l’établissement et de la transmission des propriétés
foncières telles que décrites dans la tabelle du cadastre de
1730 soit :
- les contrats de mariage précisant les dots constituées par
le père de
l’épouse au bénéfice de l’époux ainsi que l’augment qui, à l’inverse,
est établi par l’époux au profit de l’épouse, soit globalement, les
biens transférés par les deux familles vers le futur ménage (ces
échanges peuvent porter sur des biens fonciers),
- les testaments lors des décès dans lesquels un détenteur
de biens sentant sa mort venir précise à qui il destine ses biens, le
plus
généralement ses descendants, voire son conjoint si celui-ci est
vivant ; on peut y constater en particulier la division des propriétés
foncières,
- les inventaires après décès peuvent compléter
l’identification du
détenteur de biens qui n’aurait pas fait de testament ; mais leur
intérêt majeur est la description très détaillée de l’intérieur des
maisons qu’on
ne rencontre jamais dans d’autres documents avec tant de détails, nous
permettant pour
une fois de rentrer dans l’intimité de nos ancêtres.
Les questions de successions, en ce qui concerne le XVIIIe
siècle,
sont
complexes et chacun de nous ne connait pas nécessairement le droit en
application en la matière (en Savoie, les pratiques successorales
trouvent leur
origine dans
le droit romain, le droit canonique, les statuts savoyards... et les
coutumes locales). Nous donnons alors ci‑dessous des informations
utiles à la
compréhension des documents les plus informatifs de notre point de vue.
Les contrats de mariage
Un acte est établi avant ou peu après le mariage et porte sur
les
échanges de biens que se font, suivant la coutume du pays, les deux
familles pour aider les époux à supporter les charges consécutives à
leur mariage. Même s'il peut ne s'agir parfois que d’une affaire de
gros sous sans
intérêt majeur pour nous, ce peut être aussi l'occasion de compléter
notre connaissance des parentés et
celle moins évidente de l’aisance des familles.
- La dot est un capital constitué par la future épouse
(en fait son père ou sa mère si celle-ci a l’administration des biens
et de ses
enfants) au bénéfice de son futur époux. Elle dépend de la richesse des
parents et est constituée principalement en argent, mais aussi en
pièces de terre. Elle n’est réglée que sous forme d’acompte au moment
du contrat suivi d’annuités avec ou sans intérêts (5 % en général).
- Le trousseau de l’épouse comprend, avec un coffre,
les robes
nuptiales (qui seront portées par la suite le dimanche), les vêtements
ordinaires
(trossel), des pièces de literie
(fardel).
- L’augment est une donation constitué par l’époux au
bénéfice
de
son
épouse. Il est en général établi en proportion de la dot (moitié sur
les
apports en argent, un tiers sur les apports en immeubles, en fait au
quart à Fontcouverte).
Des clauses de restitution de la dot et de l’augment sont
prévues à
la
dissolution du mariage (décès d’un des conjoints). Complexes, elles
dépendent de l’ordre de décès de l’époux ou de l’épouse et de
l’existence ou non d’enfants. Enfin, le mari hypothèque la dot et
l’augment sur tous ses biens.
Suivent pour clore le contrat les signatures des témoins et
celle du
notaire.
Les testaments
Ce sont les documents les plus intéressants sous de nombreux
aspects
en
particulier celui du morcellement d’une propriété après le décès du
propriétaire.
Ils sont assez facilement repérables dans les répertoires du
tabellion
dans la mesure où un testament est souvent passé peu avant un décès (de
quelques jours à plus rarement quelques années) si la date de décès
nous est donnée par la
structuration de la population. Mais des
décès (en particulier accidentels) ne donnent pas lieu à testament. Des
inventaires après décès sont alors utiles.
Par contre, ils sont peu aisés d’interprétation dans la mesure
où
nous
ne connaissons qu’imparfaitement le droit de succession
établi à Turin et celui émanant des autorités de la Savoie… sans
parler des habitudes locales.
La structure imposée aux testaments et les règles d’héritage
Divers types de testaments existent.
Le testament solennel est rédigé
par le testateur ou une personne de confiance puis présenté à des
témoins qui le signent et enfin déposé chez un notaire où il est
conservé jusqu’au décès du testateur pour ouverture.
Le testament dit « nuncupatif », écrit par le notaire,
est
le
seul
autorisé par les Royales constitutions de 1723 et 1729. Il est passé
verbalement par le testateur devant le notaire qui rédige l’acte en
présence de sept témoins. C’est ce type de testament que l’on retrouve
dans les registres du tabellion.
Un testament est ainsi rédigé sous forme relativement standard.
Il
comprend les parties suivantes.
- La date de l’acte, le lieu de rédaction de l’acte (étude du
notaire ou habitation du testateur), le nom du
notaire.
- L’identité du testateur : elle précise son
nom, son prénom, souvent précédé d'un qualificatif, ses ascendants,
son état de santé.
- Les causes du testament éventuellement.
- Des invocations religieuses de la miséricorde divine et des
saints.
- Les dispositions funéraires précisent :
- le lieu de sépulture signalé de façon systématique (le
cimetière pour
les
habitants de Fontcouverte),
- l’ordonnancement des funérailles (selon la coutume locale
à Fontcouverte),
- les funérailles proprement dites, cérémonies à faire le
jour de
l’enterrement, voire quelques jours après,
- les cérémonies à accomplir au cours de l’année du décès
(neuvaine,
annuel, anniversaire des funérailles),
- les aumônes éventuelles.
- Des demandes de messes fondées pour le repos de l’âme du
testateur
et de
ses parents (généralement à l’église à Fontcouverte).
- Des legs pieux peuvent être faits (en argent ou en terres) à
de
pieuses institutions (à
Fontcouverte l’Eglise, les chapelles, les confréries). Une demande
obligatoire du notaire pour des legs aux hôpitaux
de Turin reçoit une réponse négative de la part des Savoyards.
- Les héritiers. Sont nommés successivement :
- Les héritiers particuliers qui reçoivent un legs
déterminé de façon
précise avant d’être éventuellement éliminés du reste de la succession.
C’est
généralement le cas des filles dans la descendance du testateur : pour
les filles célibataires une dot leur est assignée que les héritiers
universels devront leur verser quand elles se marieront ainsi que les
loger et les entretenir jusqu’au mariage ; pour les femmes
mariées,
la
dot n’est complétée que par un legs symbolique. Mais on peut également
trouver des hommes (y compris les fils) si telle est la volonté
particulière du testateur. Enfin le plus souvent, l’épouse de ce
dernier reçoit, tant qu’elle reste veuve, l’usufruit d’au moins une
partie des biens de son mari avec la tutelle des enfants mineurs.
- Les héritiers universels se partagent à parts
égales une partie du reste de
l’héritage appelé la « réserve », soit 1/3 s’il y 3 enfants
et 1/2 s’il
y en a plus. Ce sont très généralement les fils (ou les
petits fils si leur père est mort)
quand il y en a. Les héritiers universels peuvent donc rester en
indivision ou réaliser un partage quand bon leur semblera. On tient là
une
origine des nombreuses propriétés en indivision. Parmi eux, un héritier
peut reçevoir, en plus de sa
part dans la réserve, des biens particuliers ce qui permet de limiter
l’éclatement des biens d’un héritage (en particulier les terres).
Il est chargé de régler les dettes du testateur ainsi que
les problèmes financiers des funérailles.
- Les autres « prétendants à l'hoirie » sont
des personnes qui pourraient se manifester comme hériters et non citées
dans le testament comme telles. Moyennant un legs synbolique en argent,
elles sont exclues de l'hoirie.
- Une clause codicillaire dans laquelle le testateur révoque
toutes
dispositions de dernières volontés qu’il pourrait avoir prises
antérieurement.
- La liste des signataires de la minute originale :
notaire,
témoins.
Les inventaires après décès
Il s'agit de l'inventaire des biens d'un décédé à l'usage de
son hoirie (ses héritiers) que le mort ait fait un testament où il
désigne
le notaire chargé de l'inventaire ou soit décédé ab intesta
(sans
testament).
Dans tous les cas, l'inventaire se fait sur commission d'un juge.
La rédaction de l'inventaire peut être très variable suivant la
richesse du défunt. Cependant on retrouve généralement des articles
suivants.
- La date du jour d'inventaire, le lieu (souvent la maison du
défunt) et le nom de
la personne se chargeant de la visite.
- le nom du décédé et des personnes constituant son hoirie.
- La mention du juge qui a ordonné la réalisation de l'inventaire.
- La liste des témoins.
- L'état des lieux.
- Les pièces (cuisine, écurie, chambre, grange...) et leur
contenu
(en commençant souvent par la crémaillère) avec l'état d'usure des
objets.
Il est fait état des documents notariés accumulés au
cours des ans
et de sommes d'argent qui sont trouvés, voire déposés chez un voisin
dont la
maison est plus sure (les portes fermant à clé sont précisées).
- Les murs, le toit.
- Les biens immobiliers (très utile si le défunt est parti ab
intasta) : liste des parcelles
appartenant au défunt (décrites comme dans un testament).
- Le rappel des témoins pour signature de l'inventaire.
- La signature du notaire.
De nombreuses indications données par les inventaires sont utiles.
Mais c'est probablement la descriptions des pièces constituant la
maison de
la cuisine à l'écurie (qui ne sont pas toujours disjointes !) ainsi que
celle du mobilier
qui sont les plus instructives sur le mode de vie du défunt et de sa
famille.
On peut regretter la rédaction du notaire parfois peu claire et
l'emploi inévitable
de termes techniques qui nous auraient été précieux mais que nous ne
comprenons pas toujours.